Aujourd’hui (note: article initial écrit le mardi 25 mars 2008, début de l’offensive sur BASSORAH) est jour de grève… dans les quartiers chiites de BAGDAD. L’appel a été lancé par les lieutenants de Moqtada Al-Sadr pour protester contre les arrestations et les raids lancés par l’armée irakienne contre des groupes de l’Armée du Mahdi (JAM) à KUT et DIWANYAH (dans le Sud Chiite au NO de BASSORAH).
Le problème est complexe: si Moqtada Al-Sadr a bien confirmé le cessez-le-feu du mois d’août dernier, certaines milices se réclamant de son mouvement (dont les liens avec les Services Spéciaux Iraniens restent peu clairs) semblent rétives. De fait, les tirs de mortiers ayant touché la « zone verte » hier (une première depuis 1 an) semblent relier l’affaire aux « groupes spéciaux » pro-iraniens. Le général PETRAEUS a lui-même indiqué que les soupçons se tournaient vers l’Iran.
La question se pose de savoir si nous assistons à un nouveau tournant du conflit, alors même que le gouvernement MALIKI annonce son intention de se tourner vers le sud du pays, pour le moment délaissé par les opérations de contre-insurrection.
NOTE: lien vers une monographie de l’Institute for the Study of War concernant la menace des « groupes spéciaux » à BAGDAD.
Mise à jour : des affrontements ont éclaté aujourd’hui à BASSORAH et à KUT entre les milices chiites et les forces de sécurité irakiennes. Par ailleurs, des tirs de mortier ont encore touché la « zone verte ». De fait, le quartier de SADR CITY (au NE de la capitale) a été bouclé par les Américains et les Forces Irakiennes. Enfin, les adjoints de Moqtada Al-Sadr menacent de déclencher une insurrection si les arrestations continuent.
Bien entendu, chacun interprétera l’évènement à sa façon. Mais notons dès l’abord que l’opération contre BASSORAH, bien qu’annoncée formellement dimanche dernier, relève de la logique: il s’agit de poursuivre les objectifs de contre-insurrection vers les villes du Sud, dont beaucoup sont entre les mains de milices soutenues par l’Iran (ou prétendument telles). De fait, la menace qui pèse sur le cessez-le-feu de l’Armée du Mahdi est réelle mais m’inspire les réflexions suivantes. Le leader chiite s’était soulevé en mars 2004, puis en août de la même année, puis encore en 2005 jusqu’à ce que l’actuel gouvernement ne choisisse de le protéger (il y a 1 an, beaucoup disaient que le gouvernement MALIKI était en fait le gouvernement SADR), avant que les Américains ne détachent les deux hommes. Or, chacun de ses soulèvements a échoué. Il est bien évident que SADR présente une menace réelle pour l’autorité du gouvernement irakien. Enfin, rappelons que les opérations qui débutent seront sans doute meurtrières et s’apparenteront peut-être à une nouvelle guerre civile, mais je doute fort que les JAM soient réellement capables de l’emporter face aux forces irakiennes devenues leur pire ennemi. En effet, le mouvement semble affaibli, comme l’annonçait d’ailleurs la reconduction de la trêve à la fin du mois de février et l’annonce faite par SADR de convertir son organisation en une ONG charitable islamique. L’homme ne possède plus l’aura qu’il tenait de son nom (son père étant un des principaux ayatollahs chiites persécutés par Saddam Hussein), ni même du succès (relatif) de ses armes.
Ces affrontements, si ils devaient déboucher sur la dénonciation de la trêve, marquent donc une étape supplémentaire dans la contre-insurrection et dans l’affirmation du gouvernement élu. Il n’est pas non plus anodin que les opérations débutent maintenant alors que les discussions sur le calendrier de retrait des troupes vont suivre l’évaluation de PETRAEUS et CROCKER dans 2 semaines.
Mise à jour n°2: Intéressante analyse dans Abu Muqawama. En effet, la présence de MALIKI lui-même pour commander l’opération indique les tenants et les aboutissants politiques de cette affaire. En effet, la perte d’influence (relative) du mouvement de Moqtada Al Sadr auprès des Chiites s’explique principalement par la détérioration de son image de « défenseur des Chiites » du fait des agissements criminels de certains des JAM, mais aussi de la concurrence croissante du Conseil Supérieur Islamique en Irak (ISCI) ainsi que des brigades BADR (tout deux perçus comme pro-iraniens davantage que SADR). On peut donc postuler une alliance objective entre ces derniers, les Américains et le gouvernement MALIKI dans la perspective des élections provinciales d’octobre. Dans le Sud, comme dans les quartiers chiites de BAGDAD, la compétition politique pour les voix chiites fait rage, les Américains préférant les mouvements pro-iraniens à un Moqtada Al Sadr dont l’assise électorale reste tout de même importante.
Mise à jour n°3: L’opération contre BASSORAH, Knight Assault, a été préparée depuis l’été dernier par le gouvernement Irakien (déploiement de 4 brigades en Décembre). Elle bénéficie du soutien logistique et appui-feu des Américains. Parallèlement, les Américains et les Irakiens sont toujours à la recherche des membres des JAM ayant tiré au mortier dimanche et mardi dernier sur la « zone verte » et la FOB FALCON (à 13 km au sud de la « zone verte »).
Mise à jour n°4: Le premier ministre AL MALIKI vient de donner 72h aux milices présentes dans BASSORAH pour rendre les armes. De fait, près de 16 700 militaires, policiers et membres des Forces Spéciales se préparent à poursuivre l’assaut, qui est bien entièrement une opération irakienne comme l’atteste aujourd’hui le Major-général BERGNER, porte-parole de la MNF-I.
Parallèlement à cette opération, des heurts ont éclaté entre les JAM et les membres du parti du Premier Ministre (le DAWA) à BAGDAD (notamment dans le quartier de AL-AMIN). Dans SADR CITY, les JAM tiennent les Checkpoints tandis que les postes de police sont vides).
Je crois qu’il est possible de donner deux analyses:
- la première est que le Premier Ministre et les Américains veulent séparer les « éléments criminels » (les partisans « indisciplinés » des JAM) de Moqtada Al Sadr, de manière à éviter tout embrasement entre les Chiites. Les tirs de mortier -qui continuent aujourd’hui- entrent dans la catégorie des « actes criminels »(1). Cette manière de désigner l’adversaire est particulièrement habile par rapport à l’opinion publique chiite.
- les journaux français parlent de « guerre civile ». Encore faudrait-il s’entendre sur ce que signifie ce terme. En effet, si on peut parler de compétition politique interne aux Chiites, nous sommes loin des embrasements interethniques de 2006. Par ailleurs, la préméditation de cette opération (même si je crois me tromper en l’inscrivant dans la logique de Phantom Phoenix pour cette raison même) montre que MALIKI semble savoir ce qu’il fait. Ce qui signifierait la volonté d’étendre l’influence du gouvernement au sud du pays.
Une troisième remarque: historiquement, SADR a toujours joué la carte de l’insurrection à son initiative. Il y a donc fort à parier que le choix de l’offensive ces jours-ci résulte d’une position de faiblesse sur le plan militaire et politique.
(1) A noter également que la dénomination de « criminels » tant à remplacer de plus en plus celle d’insurgés.