Attentats à Bagdad

Hier, un attentat frappait le quartier administratif de la « zone verte », faisant 155 morts, ce qui le place parmi les actions les plus meurtrières du pays depuis 2007. Rappelons qu’un autre attentat avait eu lieu au mois d’août, posant la question de la capacité du gouvernement irakien à assurer la sécurité.

Pour en savoir plus, voici un lien vers une interview donnée à Radio Méditerranée Internationale ce matin.

Mort de Pierre Chaunu

Je viens juste d’apprendre la triste nouvelle: Pierre Chaunu est décédé dans la nuit de mercredi à jeudi dernier des suites d’une mauvaise chute quelques jours auparavant. Il allait bientôt avoir 86 ans.

L’occasion pour moi de dire tout ce que je dois à ce brillant historien et à cet homme si « politiquement incorrect ». Parti de l’étude de l’Amérique espagnole au XVIème siècle, Pierre Chaunu avait fini par faire du « combat démographique » la clé son oeuvre. Cet universitaire capable d’aborder de multiples sujets avec autant d’érudition que de faconde (il fallait parfois se concentrer pour suivre sa pensée qui faisait des liens parfois improbables mais toujours féconds entre des problématiques et des faits parfois très éloignés) était un historien qui faisait sens.

C’était aussi un prophète, un Cassandre pour notre temps. Dès les années 1970, il évoquait dans La peste blanche le risque du déclin démographique. Au fond, en 2009, il n’est qu’un seul regret: qu’il ait eu raison. Dans les pays développés tout comme dans les pays en voie de développement, la chute de la fécondité et de la natalité associée à l’allongement de l’espérance de vie précipitent le vieillissement des populations et masquent artificiellement la décrue qui vient. Après avoir « crevé le plancher » de la fécondité (c’était son expression), comment peut-on espérer encore dans les sirènes de la dernière phase de la « transition démographique » durant laquelle natalité et mortalité était censées s’équilibrer à un niveau bas?…

Il évoquait aussi le facteur du déclin démographique et de la défection du maillage du peuplement comme cause principale ou accélératrice du déclin des civilisations. On sait aujourd’hui grâce aux enquêtes quantitatives combien la peste de Justinien (au VIème siècle) fit plus pour éclater l’héritage romain que les prétendues « invasions barbares ». J’habite en Gascogne, cette terre si aimée des Romains et si peuplée en ce temps. Il est non loin de chez moi les restes d’une villa gallo-romaine qui témoigne d’une occupation continue entre la conquête et le Vème siècle et d’une belle prospérité. A compter du siècle suivant, les traces se font ténues comme si la terre avait été abandonnée et laissée en friches, ne laissant subsister qu’un petit hameau disparu à son tour peu avant le millénaire et la grande reprise démographique des XIèmes et XIIIème siècles. Une façon de se rappeler l’importance du peuplement comme facteur explicatif du dynamisme et de la prospérité.

Plus près de nous, les extrapolations à partir des statistiques officielles chinoises nous font entrevoir le « suicide démographique » de cette nation dans un horizon pas si lointain que cela.

Un dernier mot pour saluer l’homme de Foi et le polémiste qui parfois agaçait mais qui ne pouvait laisser indifférent. Il faut souhaiter que sa pensée ne soit pas trop caricaturée à l’avenir, lui qui était toute charité et toute rigueur en même temps.

Le DoD a-t-il compris?

De manière presque inaperçue, le Département de la Défense des Etats-Unis a corrigé le 16 septembre 2009 par la plume de Michelle FLOURNOY, sous-secrétaire à la Défense chargée de définir la politique du ministère (n°3 du Pentagone), la fameuse directive 3000.5 sur le « soutien militaire aux opérations de sécurité, stabilité, transition et reconstruction » (SSTR) en date du 28 novembre 2005. Rappelons brièvement que cette directive appelait alors les différentes composantes du ministère (notamment les services ou forces armées) à « donner [aux opérations de stabilisation] une priorité comparable à celle des opérations de combat« . Il s’en était ensuivies des mesures plus ou moins concrètes, plus ou moins efficaces et plus ou moins sincères de la part desdits services pour exécuter la directive.

En dépit de son avancée rhétorique, la directive de novembre 2005 souffrait de nombreux défauts imputables autant aux obstacles et diversions bureaucratiques qu’à la précipitation relative dans laquelle le Département tentait de faire intérioriser les principes de la « guerre au sein des populations » par les forces armées américaines. Parmi ces défauts, il faut en noter trois:

  • Une définition plutôt vague de la mission: « les actions civiles et militaires conduites le long du spectre de la paix au conflit pour maintenir ou restaurer l’ordre dans des Etats ou des régions« . Autrement dit, les missions n’étaient pas forcément comprises comme du ressort des militaires d’une part. Et d’autre part, la focale du ministère s’établissait sur les problématiques politiques de maintien de l’ordre.
  • Un spectre plutôt restreint des domaines concernés. En effet, la directive stipulait que les missions exercées dans ce cadre concerneraient la réforme du secteur de la sécurité (RSS), la reconstruction des infrastructures économiques et le développement d’une « bonne gouvernance ».
  • Une relation ambigüe aux organismes civils. Le DoD prenait acte du fait que les militaires étaient chargés de ces tâches dès lors que « les civils sont dans l’incapacité de l’accomplir« , mais ne prenait pas la peine de détailler les mesures concrètes destinées à accroître la coordination. En d’autres termes: l’action « interagence » y apparaissait essentiellement comme une invocation rhétorique et non comme une réelle politique de synergie.

Le document de septembre 2009 apparaît comme une preuve supplémentaire que la version initiale était, pour reprendre l’expression de David Ucko (amical salut à toi David), le symptôme d’une apparence d’apprentissage.

En effet, plusieurs nouveautés sont à signaler qui démontrent une volonté d’éclaircissement conceptuel et de réformes organisationnelles.

  • Les opérations de stabilisation (il n’est plus question de « soutien militaire à la sécurité, stabilisation, transition et reconstruction ») sont définies comme « un terme global comprenant des missions, actions, tâches militaires variées conduites hors des EU en coordination avec d’autres instruments de la puissance nationale afin de maintenir et rétablir un environnement sur et sécurisé, de fournir les services publics essentiels, une reconstruction d’urgence des infrastructures  et l’aide humanitaire« . Foin de toute finasserie conceptuelle: il s’agit de reconnaître que ces missions sont par essence aussi des missions militaires.
  • La politique du ministère de la Défense américain est affirmée: il ne s’agit plus seulement de proclamer que « les opérations de stabilisation sont des missions de coeur de métier des forces armées des EU que celles-ci doivent se préparer à conduire et à supporter« , mais bien plutôt que « les opérations de stabilisation sont des missions de coeur de métier des forces armées que le Département de la Défense doit se préparer à conduire avec une compétence égale à celle des opérations de combat« . On se trouve bien devant un programme politique volontariste qui vise à inscrire les missions de stabilisation comme une mission propre des forces armées des EU. On mesure combien l’effort de clarification conceptuelle fourni ces 6 dernières années représente un basculement total de la « culture militaire » américaine.
  • L’éventail des missions conduite est beaucoup plus large: rétablissement du contrôle civil, restauration et fourniture des « services essentiels » (essentiellement l’électricité, l’eau, la collecte des ordures et la plupart des fonctions édilitaires et de service public), réparation des infrastructures critiques, et fourniture d’aide humanitaire. Il s’agit donc, si l’on en croît les décideurs civils du Pentagone (OSD), de rendre les militaires aptes et compétents à agir sur le court comme sur le long terme, dans des environnements plus ou moins sécurisés.
  • Last but not least, les relations avec les composantes civiles nationales ou internationales sont clarifiées et ne relèvent plus du wishful thinking du document initial. Il ne s’agit pas d’invoquer de manière rhétorique (rituellement?) le partenariat avec d’hypothétiques agences dont on sait les difficultés en terme de ressources ou d’effectifs dans l’espoir d’échapper à la « corvée de la stabilisation ». Il faut désormais que le Département de la Défense se prépare à « conduire (…), soutenir (…), et diriger les actions de stabilisation (…) jusqu’au moment où il est faisable d’en transférer la responsabilité à d’autres agences du gouvernement des EU, à des forces de sécurité ou des gouvernements des pays-hôtes ou à des organisations intergouvernementales« .

Bien entendu, il ne s’agit que d’une instruction, et sa portée dépendra en grande partie de l’écho qu’elle trouvera parmi les services dont on sait par ailleurs, outre les sensibilités culturelles propres, l’attachement à d’autres priorités. Notamment, les programmes d’acquisition d’une part (les plate-formes couteuses qui correspondent à la fois à l’argumentaire d’un budget conséquent et à l’expression d’un rôle idéal pour chaque institution) et l’attachement à une formation initiale et professionnelle classique (qui garantissent une certaine forme de reproduction sociale entre les générations) sont les principaux obstacles à ce que laisse entrevoir la politique de Mme FLOURNOY (fondatrice du think tank Center for a New American Security, à la mode au sein de l’administration actuelle), qui est celle impulsée dans les discours du Secrétaire Robert GATES.

Quoiqu’il en soit, ce document doit être relié à deux autres facteurs:

-le Comité des Chefs d’Etat-Major (Joint Chiefs of Staff JCS) vient de faire paraître le Joint Publication 3-24 Counterinsurgency. Par rapport au FM 3-24/MCWP 3-33.5, il faut noter la volonté de parler des éléments criminels (en dépit des réticences de certains pour qui tout ceci est du ressort de la police) ou encore de détailler l’approche « s’emparer-tenir-construire ».

-Il y a bien évidemment le débat sur la stratégie à adopter en A-stan. A cet égard, les récents développements laissent songeur car ils passent sous silence la nécessité d’une véritable politique qui peut aussi bien être appliquée via le CT que via une stratégie COIN.

A lire et voir

L’émission de PBS sur l’A-stan et un excellent reportage de terrain de Dexter Filkins sur Stanley McChrystal. Commentaires lorsque je serai débarrassé d’une échéance majeure (mardi prochain).

Afghanistan

Que mes lecteurs se rassurent: je n’ai pas abandonné l’Irak et mon engouement pour les opérations en A-stan ne résulte pas d’une volonté de me plier aux diktats de la mode. Ce blog a toujours cherché à équilibrer l’analyse posée avec l’actualité la plus récente possible. Pour certains, c’est la quadrature du cercle, mais l’étude de la « contre-insurrection » contemporaine montre qu’il faut savoir gérer les impératifs contradictoires qui ne s’excluent pas mutuellement.

Sur l’Irak, on sait que la fin du Ramadan a apporté un retour des attentats à Bagdad comme à Mossoul et Kirkouk. Les Chrétiens d’Irak continuent à fuir le pays et les violences qui les visent. Ce qui n’a pas empêché le général Odierno d’annoncer mardi un éventuel retrait accéléré de 50  000 hommes avant l’échéance de l’été 2010, si tant est que les élections législatives se passent sans détérioration majeure de la situation. Ce qui montre que désormais les objectifs fixés en 2007 par le tandem Petraeus et Odierno sont atteints à leurs yeux. On ne peut s’empêcher d’avoir des sentiments partagés à ce sujet. Si d’un côté, on ne peut que reconnaître la sagesse qu’il y eut alors à donner des objectifs plus humbles et plus cohérents que la transformation du « grand Moyen-Orient », il faut aussi admettre que tout n’est pas réglé, d’autant que le nouvel ambassadeur en Irak Christopher Hill ne semble pas mettre du coeur à l’ouvrage dans la résolution des problèmes politiques. De toute manière, le nord du pays reste problématique, d’autant que les déclarations continuelles du Vice Président Joseph Biden ont eu tendance à figer l’interprétation ethniciste que les Américains portent sur cette zone, donnant du grain à moudre à tous les individus intéressés à manipuler le sentiment identitaire pour accroître les violences et gagner en influence.

Ce qui nous amène à l’Afghanistan. Les développements au sujet du rapport de McChrystal (dont certains éléments étaient parus sous le clavier de Andrew Exum (Abu Muqawama) ou sur le Small Wars Journal) et de la décision politique qui devrait en découler se sont accélérés depuis 2 jours. Mercredi en effet, une réunion se tenait à la Maison Blanche au sujet du rapport McChrystal et de ses recommandations d’accroître le niveau des troupes. Le commandant de l’ISAF y assistait par vidéoconférence. Apparemment, son évaluation de la situation et des motivations d’Al Qaeda et des Taliban ainsi que ses recommandations ont été fortement critiquées. Notamment, les conseillers civils du Président Obama ont critiqué l’idée d’un retour d’Al Qaeda en cas de reprise du pouvoir par les Taliban. Si le secrétaire d’Etat et le Secrétaire à la Défense n’ont pas donné véritablement une opinion claire pour se positionner par rapport à McChrystal, le Vice Président Biden a été le critique le plus virulent. Il a de nouveau défini une stratégie alternative reposant sur la formation de l’ANA et de l’ANP, la constitution d’une force anti-terroriste et la poursuite d’une stratégie d’éliminations ciblées du leadership d’Al Qaeda et des Taliban par des drones en A-stan et au Pakistan. Bref, le retour à la stratégie indirecte et par procuration de la doctrine « conflit de basse intensité » qui faisait florès dans les années 1980. Le personnage n’en est pas à son premier essai: cette stratégie était déjà celle qu’il avait recommandé pour l’Irak en 2006. Dès le lendemain, le général McChrystal a profité d’une conférence qu’il donnait à l’Institute for Strategic Studies de Londres pour réfuter les fondements de ce que les journalistes américains appellent déjà « l’option étroite » du contre-terrorisme. L’occasion de rappeler que le tournant conceptuel dont le FM 3-24 est l’emblème insiste sur l’importance d’un engagement prolongé et profond au coeur des populations.

Au fond, ce débat nous rappelle que les guerres abusivement appelées « limitées » se gagnent aussi sur le front intérieur. McChrystal échouerait-il là où Petraeus avait réussi?

Bonus:

-le fameux rapport « CHANSON » paru dans le POINT. Le patron de la « TF KORRIGAN » (GTIA formé autour d’éléments du 3ème RIMA de Vannes) y donne une évaluation particulièrement intéressante et lucide et propose un modèle tactique de contre-insurrection.

-En avant-première, la série Frontline de la chaîne PBS annonce la diffusion d’un document sur « la guerre d’Obama » (= l’A-stan par rapport à l’Irak, la « guerre de Bush ») pour le 13 octobre. Extraits (24 minutes) et interviews (notamment de Andrew Exum) disponible ici.

Une très bonne clarification terminologique et géographique des guerres en Afghanistan par F. de St-V de Mars Attaque.

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