Nouveau numéro de Armor

Le numéro de septembre-octobre de la revue ARMOR, éditée par l’école des Blindés de Fort Knox, est un compendium des articles parus sur la contre-insurrection. Bien entendu, ces derniers portent essentiellement sur l’usage des véhicules blindés dans ce contexte….

Murder and Intimidation (M&I)

Dans une opération de stabilisation mettant en jeu de la contre-rébellion, la progression de la sécurité n’est pas linéaire. Des sursauts de violence peuvent ponctuellement apparaître, laissant dans les médias une trace sanglante et funeste.

En février dernier, AQI jettait ses derniers feux dans l’arène de la guerre civile en commettant des attentats de masse sur des marchés fréquentés par des Chiites. Aujourd’hui, d’autres modes tactiques semblent utilisés. En témoigne la mort de 35 personnes dans la ville de KHAN BANI SAAD, au SO de BAQUBA, capitale provinciale de DIYALA. Parmi les victimes, 20 policiers, des civils et des membres des « Fils de l’Irak ». La ville a longtemps été un sanctuaire pour AQI avant les opérations de juin-juillet 2007 qui avaient chassé les militants de l’organisation terroriste.

Dans le même temps, le général de division Qassim ATTA, porte-parole militaire de l’opération Fardh Al Qanoon (BAGDAD), annonce que des unités irakiennes vont être déployées dans la ville pour lutter contre une nouvelle vague insidieuse d’assassinats et d’exécutions. Récemment, un article du New York Times avait attiré mon attention sur une épidémie d’attentats à la bombe dans le quartier d’ADHAMIYAH depuis la mort de Abu ADDID, ancien insurgé et leader des milices sunnites anti-AQI dans la zone.

Tout ceci correspond en fait au schéma classique de la campagne de meurtres et d’intimidation que des insurgés ou des terroristes mènent pour dissuader la population de coopérer avec le contre-insurgé ou le contre-terroriste. En langage militaire américain, les campagnes de M&I se réfèrent surtout à ce que l’on constatait dès la fin de l’été 2003 au sein des zones Sunnites: attaques contre des contractants civils se voyant confier la reconstruction des infrastructures de base, assassinats de leaders favorables aux Américains (près de 6 gouverneurs de ANBAR furent assassinés ou contraints à la démission durant l’année 2005/2006), exécution de policiers recrutés par les militaires américains et « abandonnés » aux représailles lors du départ de ceux-ci (en mars 2005, le départ du 3/8 Bataillon de Marines de HADITHA avait conduit à une curieuse scène macabre: les 19 membres de la police municipale avaient été arrêtés chez eux par les insurgés et exécutés devant la population dans le stade de la ville).

Alors, en est-on revenu à ces heures sombres? Le bilan de la sécurité en Irak est-il si fragile? le transfert de la responsabilité aux Irakiens conduit-il aux mêmes erreurs qu’en 2005/2006 lorsque le retrait des Américains avaient presque conduit à l’effondrement de la société irakienne?

Le cheik Abdul SATTAR de la tribu Abu Risha, leader du réveil assassiné le 13 septembre 2007

Le cheik Abdul SATTAR de la tribu Abu Risha, leader du "réveil" assassiné le 13 septembre 2007

Il faut souligner un point important: la campagne de meurtre et d’intimidation est efficace lorsque la population est majoritairement favorable aux insurgés ou est fragilisée par ses griefs ou la cruauté d’un des deux camps. L’assassinat du cheik SATTAR (photo) n’avait pas remis en cause la détermination des responsables du « Réveil » d’ANBAR, alors que de telles exécutions avaient antérieurement conduit les mêmes cheiks à abandonner leur combat.

Dans la situation présente, ce qui est inquiétant est davantage la réinfiltration des membres d’AQI au coeur de certaines zones dont ils avaient été chassés l’année dernière. Mais leur situation est radicalement différente: alors, ils étaient forts et avaient été frappés par des actions cinétiques lourdes de « nettoyage », aujourd’hui, ils s’immiscent dans les interstices du consensus social contre eux, profitant notamment des rivalités entre les responsables des « Fils de l’Irak » (c’est notamment le cas à ADHAMIYAH où des heurts entre plusieurs tribus auraient fait trois morts dernièrement).

En d’autres termes, il ne faut pas rentrer dans le jeu de cette campagne d’intimidation. L’amélioration de la sécurité, la stabilisation de l’Irak ne peuvent être des phénomènes linéaires. En revanche, il faut s’assurer du soutien de la population, qui semble largement acquis. Je ne crois pas par conséquent à un « retour en force » d’AQI malgré sa résistance et sa capacité de résilience (désolé Olivier!).

les élections provinciales devraient avoir lieu le 31 janvier 2009

Repoussée après un semi-échec au parlement irakien le 22 juillet dernier, la proposition de loi concernant la tenue des élections provinciales a enfin été adoptée hier.

Rappelons qu’il s’agit pour la première fois d’élire les assemblées provinciales, jusqu’ici formées par des éléments choisis par les Américains, le Gouvernement Irakien (GOI) ou les cheiks locaux. Deux enjeux sont particulièrement importants: celui d’un « rafraîchissement » des cadres en augmentant leur légitimité, et celui de la crédibilité et de l’efficacité du niveau provincial (qui manque de moyens et dont les pouvoirs sont fixés dans un projet datant de mars 2008). En outre, il reste à traiter la délicate question de la gestion de la sécurité au niveau provincial: doit-elle relever du gouvernement central, au risque d’accentuer les tendances actuelles à l’usage de la force armée pour avancer des agendas politiques (affaire de KHANAQIN)? ou doit-elle dépendre en grande partie des autorités locales? A moins qu’un partage des responsabilités (du genre POLICE/ARMEE) soit possible?

Le 22 juillet dernier, le Parlement avait voté cette proposition pour échouer face au véto du Vice-Président kurde. En effet, la plupart des partis irakiens, y compris le Conseil Suprême Islamique en Irak (Chiite et favorable à un fédéralisme lâche), avaient décidé d’accélérer le processus, notamment sur la question symbolique de KIRKOUK (article 24). En effet, les élections provinciales de décembre 2005 avaient été marquées par un fort boycott des Sunnites. Dans le cas de KIRKOUK, sujet d’une « arabisation » accélérée sous S. HUSSEIN; cela avait aboutit à une représentation excessive des Kurdes (36 sièges sur 45). L’alliance de juillet entre le Conseil et le Parti Islamique en Irak (principale formation Sunnite) avaient contré l’abstention des députés kurdes sur l’article 24, qui prévoit que le sort de la cité pétrolière soit réglé par référendum organisé par une commission mixte (Kurdes, Arabes, Chrétiens).

Cette fois-ci, l’accord des députés kurdes a été obtenu en admettant de reporter l’élection pour KIRKOUK et les trois provinces du Kurdistan autonome. Le VP kurde ne devrait donc pas poser son véto cette fois-ci.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet évènement;

-d’abord sur le développement de voies politiques dans la compétition entre les groupes confessionnels et partisans irakiens.

-ensuite, sur le lien entre réconciliation et stabilisation: il faut souhaiter que les nouveaux partis sunnites issus du « Réveil » puissent s’exprimer librement face aux partis traditionnels.

-cependant, les tensions s’accroissent entre le PM MALIKI, qui a affirmé avant-hier son nationalisme et son centralisme lors d’une interview télévisée, et les principaux soutiens du gouvernement, à savoir le Conseil Islamique et les partis kurdes. MALIKI pourrait être tenté d’utiliser l’armée irakienne pour diminuer leur influence et rappeler la nécessité d’un Etat relativement centralisé. C’est ainsi que peuvent être lus les évènements de BAQUBA (en septembre) et de KHANAQIN. Le second a été largement traité sur ce blog (faire une recherche via l’outil correspondant). Pour le premier, il s’agit de l’affaire du rejet du chef de la police provinciale de DIYALA par le conseil de la province. En effet, ce chef, appointé par le PM en personne, aurait cherché à emprisonner et réduire les milices des « FIls de l’Irak », en s’opposant au besoin aux responsables du Conseil Islamique.

-ce qui donne mon dernier point: outre la question de la forme de l’Etat, les élections provinciales montreront certainement que l’on ne peut réduire la politique irakienne à des luttes inter-communautaires. Non seulement l’affaire de BASSORAH du printemps dernier nous a montré les compétitions entre les partis chiites, mais encore celle de BAQUBA (voir plus haut) démontre qu’à l’intérieur des partis et des milices des courants émergent. Le PM MALIKI est certainement en train de créer l’image de « l’homme fort » de l’Irak en jouant de ces oppositions internes.

Plus que jamais la présence occidentale semble nécessaire: un retrait précipité risquerait de hâter des réglements de compte par d’autres voies. La difficulté du « sursaut » a consisté à provisoirement arrêter le transfert de responsabilité aux Irakiens tout en les formant pour qu’ils puissent devenir autonomes. Nul doute que cela ne prendra encore quelques années.

Les limites de la modularité

C’est devenu un lieu commun des opérations extérieures occidentales: il faut des forces non seulement expéditionnaires mais également modulaires. Ce dernier terme signifie qu’au lieu d’employer de larges unités indissociables, il faut composer des unités nouvelles à partir de « briques » de niveau tactique inférieur. Dans le cadre de l’armée américaine par exemple, cela fonctionne comme suit:

-un Etat-major de division gère une Division Multinationale/Task Force

-plusieurs brigades issues de divisions différentes forment la force opérationnelle

-chaque brigade est composée de bataillons de tout type (infanterie, blindés, artillerie) mais n’opérant pas forcément selon sa spécialité (on a ainsi vu des bataillons d’artillerie former le noyau de Military Training Teams au sein de brigades de l’armée irakienne).

De ce fait, les véritables unités interarmes sont les brigades et non les bataillons comme dans l’armée de terre en France (les GTIA).

Dans le cadre de la mission de stabilisation en Irak, les Brigades et les Bataillons se voient confier des zones d’opérations (AO) à l’intérieur desquelles elles peuvent éventuellement disperser leurs compagnies. C’est ainsi que le 3/8 (un bataillon de Marines) déployé à Haditha en mars 2004 dispersa ses 13 sections dans des avant-postes au coeur de la ville. Toutefois, l’échelon le plus souvent dispersé est celui de la compagnie, notamment au sein des grands ensembles urbains et dans les zones rurales de fortes densités.

Historiquement, la modularité est une idée ancienne. Au IIIème siècle, l’armée romaine choisit de lutter contre les raids et les infiltrations des « barbares » en mettant fin aux unités de légion beaucoup trop lourdes et en créant les « vexillations » (littéralement: les unités autour des enseignes). Plus légères, celles-ci pouvaient être combinées avec des unités de cavalerie, d’auxiliaires ou de soutien pour des missions défensives ou offensives. Avec la modularité, l’organisation romaine créa aussi les commandements fonctionnels (cavalerie et infanterie) et territoriaux (pour des portions de la frontière ou certains ressorts particuliers comme le « litus saxonnicus« , correspondant à l’ensemble des côtes atlantiques de la Gaule).

L’objectif affiché par la modularité est souvent lié à deux arguments: celui de l’efficacité opérationnelle, puisque l’on peut ainsi combiner des unités spécialisées sous un commandement interarmes unique (unité de commandement), et celui de la génération des forces car cela permet davantage de combinaisons entre les cycles de formation, d’entraînement et de déploiement des unités.

Or, à travers l’exemple irakien et afghan, il convient de nuancer au moins le premier argument. Dans une interview donné à Valeurs Actuelles, le général Maurice SCHMITT revient à juste titre sur l’absurdité organisationnelle ayant présidé au désastre de l’embuscade du 18 août. Notamment, il nous apprend que les quatre sections engagées n’étaient pas organiques (c’est à dire ne dépendaient pas toutes d’une même compagnie) mais provenaient d’unités différentes (le 8ème RPIMA et le 2ème REP si mes souvenirs sont bons). Ainsi, une modularisation poussée à l’extrême devient contre-productive en ce qu’elle s’oppose à la nécessaire coordination et cohésion entre les unités.

Allons plus loin: en Irak, la grande dispersion et le manque de coordination des procédures tactiques a certainement contribué au fiasco ou à l’impuissance initiale. En effet, selon le principe que Galula nomme la « mosaïque accidentelle », lorsque des unités ne coordonnent pas leurs opérations aux unités limitrophes, elles créent un « patchwork » de sécurité pour l’insurgé qui peut profiter de ce « différentiel de compétitivité » pour échapper aux coups les plus durs. Dans le cas historique des Américains en Irak (et visiblement de l’Alliance en Afghanistan), cela provient essentiellement de la superposition entre la modularité d’une part et de la segmentation d’autre part. Par segmentation, je veux entendre que les objectifs des unités se conçoivent les uns séparément des autres, quand bien même le plan de l’échelon immédiatement supérieur prévoit qu’ils s’intégreront l’un à l’autre. Fixer une zone d’opération précise à une unité, parfois à un niveau tactique exceptionnellement bas, peut s’avérer nécessaire pour souder la population et la force armée par la présence durable et régulière de cette dernière dans le sein de la première. C’est là le B.a-ba de la contre-insurrection « galulienne ». Mais la focalisation sur sa zone d’opération produit un effet pervers qui va couper partiellement l’unité du reste de la force, n’assurant pas ainsi la cohésion nécessaire. Ainsi, chaque unité répondra à son approche propre de l’intention de commandement de l’échelon supérieur. Ajoutons que la modularité, quand elle est conçu comme un expédient au manque d’effectif, annule son propre avantage: à quoi cela sert-il de combiner des bataillons d’infanterie, de blindés et d’artillerie si les unités sont toutes orientées vers la même tâche?

On ne saurait conclure sur cette note pessimiste en se contentant de bougonner contre les coalitions et les alliances. En fait, plus que l’unité de commandement, l’unité d’effort est la clé, notamment pour des armées occidentales aux effectifs historiquement faibles. Mais comment obtenir cette tension vers le même objectif dans le cas d’une segmentation extrême accentué par la modularisation actuelle?

La solution nous est en partie fournie par les opérations de 2007: il suffit d’intégrer les manoeuvres des différentes unités en des ensembles plus vastes lors d’opérations offensives, bref de faire de l’opératif (operational art où le mot « art » confirme toute la difficulté de la chose et l’impossibilité de la circonscrire à quelque formule scientifique). C’est ce que nous enseigne par exemple le schéma suivant, issu de nos propres recherches:

correctif: l’écervelé que je suis oublie un élément crucial qui invalide en partie ce qui précède (ou du moins le nuance fortement). Outre les opérations offensives de l’été 2007, il faut noter des parties défensives, notamment en adoptant une formation réticulée: bataillon dans les Joint Security Stations au coeur des villes puis compagnies voire sections au sein des Combat Ouposts. Ce système en réseau permet de pallier la segmentation en intégrant chacune des unités avec ses voisines via l’échelon immédiatement supérieur. Et puis surtout, il reste un autre argument: celui de l’unité de compréhension des objectifs globaux et des procédures à faire/ne pas faire. C’est là le rôle du commandant d’AO ou de théâtre dans ses discours, mais c’est bien sur le rôle traditionnel de la doctrine. Ce n’est pas un hasard si l’inspirateur de cette doctrine (même si il n’en est pas l’auteur) est aussi celui qui a donné le la dans cette année 2007/2008.

La doctrine de l’anticorps… et de quelques autres erreurs communes

Dans l’histoire militaire récente, la doctrine de l’anticorps est étroitement liée au général John ABIZAID, qui fut commandant des forces combattantes du CENTCOM entre 2003 et fin 2006. D’origine libanaise et parlant l’arabe, le général ABIZAID fut le premier à considérer que la contre-insurrection nécessaire en Irak demandait une visibilité la plus faible possible des forces américaines. La raison en était selon lui que lesdites forces agissaient comme un « corps étranger » dans les sociétés islamiques, arabes et plus particulièrement irakienne. Les faits semblèrent lui donner raison: les Américains furent bientôt perçus comme des « occupants » bien plus que des « libérateurs ».

Politiquement, cette théorie -outre son autorité propre émanant des connaissances supposées supérieures d’ABIZAID de la mentalité arabe- cadrait avec la vision de D. RUMSFELD de forces expéditionnaires pouvant se retirer au plus tôt. Elle s’alliait parfaitement avec les soucis des chefs d’Etat-major des différents services, craignant des déploiements trop longs et des rotations à répétition. Enfin, elle s’harmonisait parfaitement avec la stratégie définie en mars 2005 par le général CASEY, commandant les forces US en Irak, lequel avait pour objectif de transférer au plus vite la responsabilité de la sécurité de BAGDAD et des provinces au nouveau gouvernement démocratiquement élu et à ses forces armées dûment formées et préparées par les Américains.

Rétrospectivement, il est possible de constater que l’adoption de cette fausse bonne idée eût des conséquences désastreuses. Dans le courant de l’année 2005, les forces américaines s’enfermèrent progressivement dans des super-bases (les FOB) en dehors des villes. Certes, la présence au coeur des zones peuplées dans les deux années précédentes n’avait pas amélioré la situation. Dans certains cas, elle avait même été contre-productive. Mais en soi, cela tenait à l’intrication de facteurs plus complexes que le rejet pur et simple de la présence américaine par la société irakienne, notamment par les Sunnites. Parmi ces facteurs, il me semble que le projet idéaliste de fonder un Etat irakien sur des bases « américanisantes » ou « occidentalisantes » a largement participé du sentiment croissant d’exclusion chez les Sunnites, tout en permettant l’infiltration des infrastructures du pouvoir par les milices des différentes factions chiites. Un autre facteur -militaire celui-là- tient à l’absence de doctrine véritablement standardisée sur la manière d’agir dans la situation à laquelle étaient alors confrontés les militaires américains. D’où une dispersion des attitudes, et des différences parfois abyssales entre deux compagnies, deux bataillons ou deux brigades limitrophes. Par ailleurs, les règles d’engagement plutôt strictes eurent un double effet pervers: d’un côté en effet, elles ne surent pas éviter les quelques dérapages et abus qui naissent face à un environnement à l’opposé des procédures standards -contribuant à renforcer la méfiance et la haine nourrie envers les Américains-, de l’autre, elles ne furent pas assez musclées dans l’ensemble pour circonscrire l’insurrection naissante -du moins jusqu’au soulèvement généralisé du printemps 2004.

Le retrait des forces US en 2005 du fait de cette croyance admise en la doctrine de l’anticorps fut plus douloureux encore. En effet, cela permit enfin à AQI de déclencher la guerre civile tant recherchée entre Sunnites et Chiites, tandis que les forces de police, seules responsables de la sécurité au plus près du terrain, avaient été constituées en forces auxiliaires des milices chiites. Ce dernier point était la résultante d’une absence de droit de regard de la Coalition sur la formation des forces de police jusqu’en 2006. Seules quelques unités de Marines ou de l’Army (bataillon, compagnie, plus rarement brigades) restaient présentes à AL QAIM, FALLOUJAH et RAMADI. A BAGDAD, les opérations « Echelles de la Justice » (printemps) puis « Together Forward » consistaient en un retour limité des forces américaines au coeur des villes, essentiellement dans la phase de « nettoyage »…..

Or, la doctrine de l’anticorps me semble être un bon exemple des préjugés communs aux décideurs civils et militaires occidentaux, ainsi qu’à certaines de leurs opinions publiques. En effet, il est courant d’entendre comme une évidence que « nous sommes de trop chez eux » ou que « nous devrions partir puisqu’ils nous voient comme des occupants ». Cela vaut évidemment pour le cas de l’AFGHANISTAN autant que pour celui de l’IRAK.

La doctrine de l’anticorps équivaut en partie à une aversion pour le risque, mais aussi à une croyance largement répandue selon laquelle l’altérité culturelle serait la principale cause des conflits. Qu’elle en soit une condition (au sens aristotélicien de la distinction entre cause et condition) est une évidence.. Mais cela n’en est jamais une cause. Presque a contrario j’aurais tendance à dire que l’altérité culturelle résulte souvent d’une construction à la suite d’un conflit ou d’une confrontation. Un autre argument souvent entendu est celui de l’ethnocentrisme occidental qui serait à l’origine à la fois d’une incompréhension des cultures locales et d’une volonté naïve d’imposer le modèle démocratique au reste de la planète. C’est confondre encore une fois une cause avec une condition. En fait, ce qu’il faut incriminer ici c’est l’attitude cognitive des décideurs à tout les niveaux (quelle grille d’analyse choisissent-ils de prendre pour comprendre le contexte?) et surtout le choix des objectifs politiques. De fait, l’expérience de l’Irak montre comment la présence américaine a finit par être souhaitée par leurs plus farouches ennemis d’hier, à savoir les Sunnites. Cela vient d’une interaction complexe entre les intérêts réels ou perçus de chacun, les changements d’attitude adoptés par les militaires US aux plus bas échelons, et l’évolution du contexte politique et social au niveau local.

Paradoxalement (si l’on s’en tient à la théorie de l’anticorps), la présence américaine a donc atténué les violences et les ressentiments, voire a facilité les changements réciproques d’attitude et de perception.

J’aurais donc tendance à dire que le rejet actuel des forces occidentales en AFGHANISTAN ne doit pas être un argument à prendre en compte pour poursuivre ou non notre engagement là-bas. Au contraire, nous risquerions peut-être de connaître une évolution similaire (mais non semblable évidemment) à celle que l’Irak connût en 2006….

D’autres arguments me semblent plus importants: le premier est celui du format de nos forces et notamment de leur formation à la « conscience culturelle » et à la psychologie. On l’aura compris: pour moi, un militaire occidental devient un corps étranger si il reste dans une logique d’altérité et de rivalité mimétique. Dans ce domaine, le risque zéro n’existe pas: il existera toujours des personnels qui entreront dans la logique mimétique et qui verront dans la population l’omniprésence de l’ennemi. En tant que catho, cela me semble logique: le péché originel est une réalité pour moi. L’attitude « prophétique » consiste à demander sans cesse la grâce de voir dans l’Autre la présence du Christ et d’un frère. Mais bon, comme tout le monde n’est pas catho (et encore, cette grâce est une transformation très lente et non linéaire de notre rapport aux autres), il faut donc nécessairement se préparer par des opérations sur l’information afin de ne pas endommager les progrès relationnels par une erreur -ou un crime- au niveau local.

Et c’est lié au deuxième argument: celui de la nécessaire responsabilité des chefs militaires et politiques. Pour les premiers, je distingue deux niveaux. Celui des chefs d’unité d’abord, qui doivent travailler à modeler une culture « sensible » à la discrimination et à l’approche de l’Autre. Les Marines ont montré comment on pouvait procéder ce modelage tout en gardant un « ethos » guerrier: no better friend, no worse ennemy (ou même « sourire à chacun, avoir un plan pour tuer quiconque (sous-entendu: serait une menace) » ). Bref, les chefs de groupe, les chefs de section, les commandants d’unité et les commandants de GTIA ont une responsabilité: celle de bien faire comprendre à leurs subordonnés quelle est la place de la population et quelle attitude tenir à son égard. C’est l’enseignement à tirer du mandat de PETRAEUS dont la lettre sur l’éthique (8 mai 2007) a donné un cadre à la posture militaire.

Le deuxième niveau est celui des conseillers militaires des décideurs politiques. Un homme politique peut en effet définir l’Effet Final Recherché sur le format: nous serons partis en 2011 (cf. BUSH à la fin de cet été). C’est son rôle de donner ce type d’effet d’annonce pour des raisons politiques. Mais un militaire doit être capable de lui dire que la mission ne peut être accomplie ou alors qu’elle sera bâclée. C’est un autre enseignement des rapports entre les chefs d’unité en Irak, le général CASEY et les responsables politiques de l’Exécutif et du Congrès: personne n’a osé dire que les forces irakiennes ne seraient pas autonomes dans les délais fixés par CASEY, c’est à dire la fin 2006. Certes -et les militaires qui me lisent le savent très bien- il est difficile dans la plupart des cultures militaires de dire que la mission est impossible ou qu’elle demande davantage de moyens.. Mais dans la logique de saines relations entre civils et militaires, cette vérité est due par le professionnel au responsable politique.

J’en viens donc pour finir à ce dernier: au-delà des effets d’annonce, il est nécessaire d’avoir un objectif stratégique humble et cohérent par rapport aux moyens que l’on consent. Car c’est là où le bât blesse: l’Irak fût un fiasco (et peut-être l’est-ce encore?) car l’objectif de changement de régime ne correspondait pas à la réalité irakienne. Dès mars 2003, et encore en mars 2005 puis en novembre de cette même année, des cheiks sunnites ont tenté de négocier leur neutralité, voire leur engagement positif, contre la formation de milices d’auto-défense. A chaque fois, ces projets furent dissipés par les Américains, au motif qu’il était hors de question de construire l’Irak démocratique sur des bases obsolètes et archaïques… Il a fallu attendre l’automne 2006 et surtout l’ensemble de l’année 2007 pour que cette réalité socio-historique irakienne s’impose aux Américains, au-delà des préjugés formés par les décideurs politiques.

Au final, le discours décousu qui précède montre comment les affaires de perception -qui sont la véritable cause des conflits- sont souvent réglées par l’expérience et par la connaissance concrète de l’Autre, dès lors que l’on veuille bien aller au-delà des préjugés. L’enseignement pour les conflictualités actuelles me semble pertinent: il faut un objectif politique en adéquation avec ce qu’est l’Autre. A ce titre, l’AFGHANISTAN ne peut ni être un terrain de Democracy Building, ni celui de la « lutte contre le terrorisme ». Ensuite, il faut des moyens militaires à la fois souples, résolus et sensibles à la réalité locale. A ce titre, il est nécessaire de comprendre que la présence des soldats occidentaux peut alimenter la narration des Talibans auprès de la population (« nous luttons contre des occupants infidèles et cruels ») et que le retrait de nos troupes ferait de ce récit une prophétie auto-réalisée.

Le départ de Petraeus

C’est fait, Raymond ODIERNO vient de prendre le commandement de la Force Multinationale en Irak en succédant à David PETRAEUS (surnommé le « Roi David » par les habitants de MOSSOUL en 2003) qui devient commandant des forces combattantes (Combattant Command ayant pris la place de Commander-in-Chief avec RUMSFELD) dans la région Centrale (Moyen-Orient-Corne de l’Afrique-Asie Centrale).

L’occasion de revenir sur le bilan du général PETRAEUS, en essayant de sortir des sentiers battus. Peu ou prou en effet, les débats actuels, ainsi que futurs, se focaliseront certainement sur le « sursaut » de 2007/2008 et auront tendance à identifier l’action de PETRAEUS avec la décision politique prise par Georges BUSH le 10 janvier 2007, laquelle allait à contre-courant des opinions « autorisées » des experts civils et militaires. Pour beaucoup donc, les évènements que nous venons de vivre dans les 19 derniers mois seront relus à l’aune de la décision politique. Pour d’autres au contraire, le bilan de PETRAEUS est sérieusement remis en cause. Pour mieux dire, si les choses vont mieux, ce n’est pas forcément grâce à lui (et à BUSH): position de WOODWARD dans ses articles du Washington Post, position également de mon ami Gian GENTILE.

Pourtant, il est intéressant de lire ce que le principal intéressé en dit lui-même: dans une interview livrée la semaine dernière, le commandant du CENTCOM déclarait en effet que les gains de l’année écoulée restent fragiles et que le pays demeure un centre de gravité majeur pour Al Qaeda. Sur ce dernier point, la persistance des violences à MOSSOUL semble lui donner en partie raison, lors même que la saisie de lettres émanant de AL ZAWAIHRI montre au contraire le désarroi des responsables d’AQI. Dans une lettre adressée aux troupes, PETRAEUS ne minimise pas les succès obtenus mais reste tout aussi prudent…. Autrement dit, l’homme reste humble, que ce soit par calcul politique, ou par prudence face à la tâche qui l’attend maintenant. Car il est facile en effet d’analyser la promotion de PETRAEUS (initialement programmé pour aller commander les forces de l’OTAN) comme la double volonté de garder une « équipe qui gagne » (ODIERNO/PETRAEUS) au-delà des contingences politiciennes et de transférer les « recettes irakiennes » en AFGHANISTAN….

En fait, il est nécessaire non seulement de s’interroger sur l’homme, son style de commandement et son aura personnelle, mais encore plus de l’inscrire dans une dynamique historique dont les principaux ressorts semblent provisoirement nous échapper. A ce titre, ma réflexion portera ici sur les enseignements à tirer de 19 mois de commandement.

Lorsque l’on interroge les sources historiques multiples (et abondantes) directes ou indirectes, il ressort que la campagne de 2007/2008 est avant tout la mise en oeuvre d’un plan brillant, permis à la fois par des standardisations tactiques (l’approche gallulienne de la « tâche d’huile ») et par un ensemble d’opérations successives et simultanées à l’échelle du Triangle Sunnite… Mais, de même que l’on ne peut séparer les décisions de PETRAEUS (et de son « staff » d’experts) du contexte politique et social, on ne peut considérer les opérations militaires seules. On voit bien en effet comment d’autres facteurs entrent en interaction avec celles-ci: la décision de poursuivre l’intégration politique des Sunnites, la négociation parfois musclée avec Moqtada SADR, l’action exercée auprès du gouvernement MALIKI, faite d’un soutien conditionnel…..

Or, il paraît important de considérer que l’ensemble de ces facteurs sont avant tout complémentaires: les améliorations réelles (mais relatives) observées depuis 19 mois sont le résultat d’un ensemble de décisions, d’actions, de motivations et de négociations complexes que l’on peut considérer comme parfaitement contingent…. Si ce n’est qu’à mon sens, le personnage de PETRAEUS -de façon directe ou indirecte- est central dans ce processus.

Car il paraît maintenant de plus en plus évident que le point central, le lien si l’on préfère, entre l’ensemble de ces facteurs est la réintégration politique des Sunnites et l’amorce d’une réconciliation à l’échelle locale, à la fois entre les communautés et entre les réseaux sociaux dispersés et le niveau politique provincial et central. C’est le constat que l’on peut tirer par exemple des recherches de David UCKO sur le processus de réintégration politique des tribus, des milices et des insurgés. L’auteur ne va cependant jusqu’à la conclusion qui s’impose: celle-ci est né d’un changement de perception et d’attitude des militaires américains, d’abord au niveau d’une province (ANBAR) puis dans l’ensemble de l’Irak, notamment grâce à l’action et à la propagande (entendue ici au sens positif) de PETRAEUS. Ce changement d’attitude a consisté à ne plus voir dans le Sunnite un ennemi irréconciliable voué à la destruction des forces américaines. Par le jeu de l’expérience essentiellement, mais aussi par celui de la diffusion de certaines interprétations intellectuelles de l’auto-proclamée « contre-insurrection », les militaires américains se sont interrogés sur les motivations réelles des groupes insurgés, au lien de forger des images fausses et stéréotypées des « bad guys » qu’il faut descendre… On ne mesure pas en quoi ce changement a été monumental, long et certainement non-linéaire. Ce qui fait moins de doute en tout cas, c’est que David PETRAEUS a servi de point de focalisation à ces sentiments et à ces expériences en les subordonnant à un projet stratégique et politique clair: donner de l’air au gouvernement irakien, le soutenir sous condition pour le faire évoluer d’un repaire de sectaires à un gouvernement véritablement national. Sur ce dernier point, j’y reviendrai, le succès est loin d’être atteint.

Quoi qu’il en soit, cette réintégration politique a seule permis -et a été permise en retour- la réussite de l’approche tactique et opérationnelle de PETRAEUS et ODIERNO. Notamment, la création de forces de sécurité chargées de défendre les communautés contre les « extrémistes » d’AQI a permis de marginaliser ceux-ci tout en effectuant un contrôle réel du milieu, là où de simples opérations de « nettoyage » -même coordonnées à l’échelle du théâtre- n’auraient pas abouti sur le long terme. En retour, l’alliance avec les détenteurs locaux du pouvoir -nouveaux ou traditionnels- a été rendue possible par l’engagement plus appuyé et plus durable des forces américaines au sein même des communautés qu’elles devaient protéger.

Ceci m’amène à poser un problème plus central encore qui dépasse la simple explication historique de l’action de David PETRAEUS…. En effet, ce départ s’opère alors que des signes de tensions et de méfiance menacent la stabilité gagnée par son action. Alors que le secrétaire GATES pousse à transférer au plus vite la responsabilité de la sécurité aux Irakiens, PETRAEUS semble pressentir que cela reste prématuré. Alors que ses « maîtres » politiques semblent se détourner de ses conseils, telle Jeanne d’Arc abandonnée par Charles VII après que le sacre ait eu lieu, l’ancien commandant du théâtre irakien reste ferme sur ce qu’il avait déjà annoncé durant le printemps et au début de l’été: tout retrait précipité et prématuré risque de remettre en cause les gains fragiles en Irak.

Pourquoi ce pessimisme apparent -si peu coutumier dans une Army où le compte-rendu optimiste est souvent la règle- alors que les indicateurs de sécurité sont au vert, que l’armée irakienne semble capable de se débrouiller seule avec ses conseillers américains mais sans l’aide active de troupes US? La transition que le secrétaire GATES prône, demandant de passer d’une posture de combat à une posture d’assistance militaire, ne prend pas en compte les rapports de force actuels du pays. Certes, il y a les compétitions internes entre les élites sunnites et chiites, mobilisant des griefs anciens ou actuels dans le but du pouvoir. Mais, parmi les points noirs, le cas des Kurdes me parait intéressant: en effet, ils sont les seuls parmi les groupes irakiens à garder une image stéréotypée parmi les responsables américains. Alors que les Sunnites sont mieux compris, que la compétition politique entre les Chiites est mieux évaluée et manipulée par les Américains, l’ambition kurde semble sous-évaluée, notamment pour ce qui concerne ses conséquences sur l’avenir du pays. Ce n’est certes pas un hasard si, ces jours-ci, un rapport secret émanant d’un parti kurde prétend que les Américains chercheraient à mettre MALIKI dehors sous prétexte que ce dernier s’appuierait de plus en plus sur les Iraniens, notamment pour les chasser…..

D’où la question suivante: Américains et Sunnites ont réussi à surmonter la rivalité mimétique (René GIRARD), les premiers ont de surcroit aidé à surmonter partiellement celle qui existait entre les Chiites et les Sunnites. Certes, dans certaines régions (MOSSOUL, DIYALA), l’usage excessif de la force et de la violence a rendu ces réconciliations largement artificielles, mais il n’en reste pas moins que des communautés locales ont su pardonner aux Américains. Néanmoins, ce mouvement qui tend à changer d’optique dans la vision de l’Autre -le considérant dans ses motivations réelles et non dans l’altérité la plus menaçante et agressive- ne semble pas devoir se généraliser en Irak. C’est là le bilan involontaire du « Roi DAVID »: il a su réconcilier sous son autorité et avec la présence de militaires américains finalement perçus comme « neutres » ou « amis » par chacune des communautés; mais cela signifie paradoxalement la nécessité d’un maintien durable des forces US en Irak pour pouvoir « transformer » l’essai…. Après tout, il l’avait dit lui-même en septembre dernier:une contre-insurrection dure de l’ordre d’une décennie.

Bonus: le général ODIERNO n’a pas attendu pour émettre son « COIN Guidance« .. Une nouveauté: la posture américaine doit « favoriser en surveillant » (Enable from Overwatch« )

Pause nécessaire (dernière mise à jour)

Ce week-end, comment chacun le sait, un certain Benoît est incognito à Paris et à Lourdes. … Je cesserai donc mes activités électroniques jusqu’à lundi prochain, sauf pour mettre en lien les textes majeurs de cette visite. Je serai donc en effet à Lourdes avec toute ma famille dimanche.

Voici les premiers textes, tandis que j’écoute actuellement le discours des Bernardins:

une interview effectuée dans l’avion

le discours prononcé à l’arrivée en France

J’invite mes lecteurs de bonne volonté à lire ces déclarations, au moins pour effacer certains des préjugés qu’ils pourraient avoir…

mise à jour: le discours prononcé aux Bernardins est disponible ici

mise à jour n°2: le sermon de la veillée de prière de samedi soir.

mise à jour n°3: l’homélie de la messe aux Invalides (fête de Saint Jean Chrysostome)

mise à jour n°4: les textes de LOURDES

homélie de la fête de la Croix Glorieuse

discours aux évêques de France

méditation lors de l’adoration du Saint Sacrement

homélie de la messe des malades.

Les « révélations » de Bob WOODWARD, suite et fin

Aujourd’hui, le Washington Post publie le dernier des quatre extraits de War Within. Il s’agit essentiellement d’un portrait du Président BUSH. Je laisse à mes lecteurs le soin de se forger leur opinion sur le personnage.

Réduction de troupes

Comme je l’annonçais la semaine dernière, le Président BUSH a choisi de se conformer aux recommandations du secrétaire GATES et du CEMA l’amiral MULLEN, préconisant un léger retrait d’ici le début de l’année 2009, c’est à dire au-delà de la prise de fonction de son successeur à la Maison Blanche.

Selon ce plan, issu d’un compromis entre la volonté de retrait des chefs d’Etat-major et l’évaluation des conditions sur le terrain par le général PETRAEUS, un bataillon de Marines quittant ANBAR durant l’automne ne serait pas relevé, idem pour une brigade de l’Army courant février 2009. A l’issue du départ de cette dernière, les forces américaines en Irak atteindraient le chiffre de 138 000, à peu près au niveau des 140 000 personnels déployés en janvier 2007. Les troupes initialement destinées à l’Irak seraient déployés en partie en Afghanistan, qui devient aujourd’hui la préoccupation première des stratèges américains (et du candidat OBAMA).

Le Président BUSH semble ainsi confirmer son souhait de s’aligner sur les recommandations du général PETRAEUS, lequel a du pouvoir freiner les demandes émanant des dirigeants militaires du Pentagone. D’autre part, cela permet au Président sortant de s’assurer qu’un retrait précipité n’est pas possible. Enfin, cela renvoie la balle à son successeur, quel qu’il soit.

Dans un autre ordre d’idée, j’annonçais également qu’à l’échéance du 1er octobre, près de 54 000 membres des milices sunnites de quartier de BAGDAD et de ses environs seraient transférés sous la responsabilité du gouvernement irakien. Rappelons en effet que les « Fils de l’Irak », qui opèrent comme milices de défense de leur communauté ou en appui statique pour occuper le terrain contrôlé, sont salariés par contrat avec le gouvernement des Etats-Unis (pour 300$/mois/personne).

Une réunion s’est tenue hier dans l’arrondissement de KHADIMIYAH (O de BAGDAD) pour expliquer les tenants et les aboutissants de ce transfert, notamment les conséquences concrètes sur les miliciens. En effet, plusieurs enjeux sont visibles: celui de l’emploi d’abord, celui de l’influence et du pouvoir des cheiks à l’origine des recrutements des milices, celui de l’avenir des relations entre les milices et les forces américaines, celui du sort des anciens insurgés ayant changé de camp l’année dernière pour rejoindre ces groupes. Le gouvernement irakien a promis que 20% des miliciens seraient intégrés dans les forces de sécurité (encore s’agit-il de la proportion sur le total des miliciens, soient 100 000 personnels), promettant également le recrutement d’autres SoI dans les ministères irakiens et l’accélération des formations professionnelles déjà en place dans de nombreuses régions, notamment du Sud de BAGDAD. Les critères de sélection reposeraient sur l’âge (entre 22 et 30 ans) -ce qui exclut de facto les cheiks eux-mêmes et risque de les couper du groupe dont ils sont les chefs naturels et les « patrons »-, mais aussi sur la maîtrise de la lecture et de l’écriture. Concernant les salaires, ils continueraient à être versés, le gouvernement américain s’engageant à prolonger les contrats de ceux qui ne trouveraient pas d’emploi. Enfin, le gouvernement irakien, tout en interdisant la libre circulation des milices et en leur déniant leur droit d’arrestation, a promis ne pas les priver de leur AK-47 (les armes plus lourdes seraient confisquées) et surtout de ne pas arrêter les membres des milices qui auraient eu maille à partir avec l’insurrection par le passé.

Tout ceci ne suffira peut-être pas à rassurer les responsables des « Fils de l’Irak ». D’ores et déjà, la question se pose de leur place dans le nouvel Irak. On a vu en effet comment les milices issues du « Réveil » d’ANBAR ont crée des partis politiques pour concurrencer les partis traditionnels sunnites.

J’ajoute aussi cette excellente lecture du small wars journal traitant de ce problème en le replaçant dans une perspective sociologique et historique plus large. Notamment, les velléités de création de système de sécurité ou de de contrôle s’appuyant sur les tribus ou les milices de quartier sont aussi anciens que l’islamisation du pays et la fondation de BAGDAD. En effet, les « fils de l’Irak » sont l’ultime avatar de ces tentatives de relier des réseaux sociaux disparates au pouvoir central.

ajout de dernière minute: la première milice d’autodéfense chrétienne (c’est à dire assyro-chaldéenne fidèle à Rome) protégerait la communauté de TEL ASQUF (province de NINIVE) contre AQI. Elle aurait été créée avec l’aide des Kurdes pour résister aux pressions des terroristes sunnites tout en se passant des milices locales monnayant leur protection contre le paiement de la « capitation » (qui, en terre d’islam, pèse essentiellement sur les non-musulmans et leur confère le statut de « dhimmis »)

Les « révélations » de Bob Woodward, suite

Suite du feuilleton WOODWARD via la Washington Post. Cette fois-ci, il s’agit d’insister sur le rôle occulte du général Jack KEANE, ancien vice-chef d’Etat-major de l’Army.

Pour résumer, le général KEANE, initialement pressenti comme le successeur du général SHINSEKI après que celui-ci ait du démissionner à la fin de 2003 pour son rôle dans l’opposition de l’establishment militaire au plan d’invasion de l’Irak, serait le conseiller occulte du Président et du Vice-Président depuis le courant de l’année 2006.

Deux actions sont à mettre à son actif: son lobbying en faveur du « sursaut » dès le printemps 2006 lorsqu’il publie un rapport avec Frédérick KAGAN de l’American Enterprise Institute; mais surtout son soutien sans faille à PETRAEUS dont il est le mentor depuis plusieurs années.

WOODWARD insiste sur l’opposition, voire la crainte, que les chefs d’Etat-major ressentent envers ce personnage qui les court-circuite. Ce fait est important car, aux Etats-Unis, la stricte délimitation du rôle de chacun est censé garantir la séparation des pouvoirs et l’indépendance des conseillers du Président et du Congrès. Raison pour laquelle le général CASEY dit à KEANE (selon WOODWARD): « tu n’as pas à faire ce pour quoi tu n’as pas à rendre de compte ».

L’article se termine par le rôle supposé de KEANE dans les changements de postes intervenus en mars-avril 2008: la démission du CENTCOM et la double nomination de PETRAEUS et ODIERNO, l’un au CENTCOM et l’autre à la Force Multinationale Irak. Jack KEANE semble mu par l’idée selon laquelle la présence américaine au Moyen-Orient sera longue, nécessitant des personnalités de premier plan dont une  administration hostile à la présence en Irak ne pourra contester les mérites et les conseils.

Propulsé par WordPress.com.