Le sujet peut paraître marginal dans l’étude de la contre-insurrection en Irak. Il n’en est rien car il recoupe au moins trois interrogations:
- la première est d’ordre sociologique: le choix d’un VBCI ou d’un blindé dans le cadre de la contre-insurrection se fait dans un cadre institutionnel où se télescopent les rivalités bureaucratiques, les considérations identitaires et les débats opérationnels. Pour faire court, il s’agit d’un opposition croisée entre, d’une part, les partisans de la « transformation » des forces (plus de modularité -version Army-, plus d’agilité « expéditionnaire » -version Marines) contre ceux des programmes d’acquisition « hérités » (legacy systems, c’est à dire hérités de la « guerre froide »), et, d’autre part, les promoteurs de la contre-insurrection contre ceux des opérations conventionnelles.
- La seconde est d’ordre tactique: les VBCI sont-ils adaptés au combat urbain, ou sont-ils taillés pour la contre-insurrection?
- La troisième est d’ordre technique: quelles résistance, quelle mobilité, quelle puissance de feu?
Dans le cas des deux véhicules cités en titre, le problème majeur est celui de l’adéquation entre la résistance aux Improvised Explosive Devices (IED), la mobilité en terrain urbain ou semi-urbain et l’ouverture « sociale » qu’ils permettent dans les relations avec la population.
C’est d’autant plus d’actualité depuis le 17 février, jour où l’Associated Press a fait mention d’un rapport concernant la fourniture de véhicules type MRAP (Mine Resistant Ambush Protected) dans les unités de Marines déployées en Irak. Selon Franz GAYL, auteur du rapport, la fourniture du véhicule aurait été stoppée par les services de logistique et d’acquisition de l’USMC, alors même que les commandants d’unité sur le terrain le réclamaient. La polémique a enflé lorsque GAYL a indiqué que ce délai inutile aurait coûté des vies, le MRAP semblant bien étudié pour contrer la menace des explosifs improvisés (IED). Après avoir réclamé une enquête, les officiels du Corps des Marines auraient décidé de mettre fin aux recherches de GAYL.
Quoiqu’il en soit des problèmes bureaucratiques que cela implique, il est intéressant de se pencher sur les caractéristiques de ce véhicule, en gardant à l’esprit que les pertes ne dépendent pas que du matériel, mais avant tout des décisions humaines et de la friction inhérente à la guerre.
En supplément, une animation sur le MRAP:
Concernant le STRYKER, même si le véhicule a été enterrée par de nombreux spécialistes de la COIN pour sa vulnérabilité autant que pour sa « fermeture » sociale, d’autres témoignages indiquent l’inverse, notamment du fait de sa mobilité et de sa puissance de feu.
Est-il nécessaire d’ajouter qu’aucun des deux véhicules ne fournit une protection suffisante contre les EFP (Explosively Formed Projectiles) dont sont friands les groupes spéciaux pro-iraniens ou les milices de Moqtada Al Sadr
mise à jour/précisions:
Mon propos n’est évidemment pas de comparer les deux matériels. Ils ne boxent pas dans la même catégorie:
- le Stryker est un VBCI (Mowhag suisse 8X8). Il arme les brigades intérimaires (IBCT), c’est à dire les unités qui ne sont pas encore « transformables » (et donc dans l’attente du Future Combat System)
- le MRAP est un véhicule de transport type HUMWEE, développé à la demande du Pentagone (800 000$ pièce!) mais dont le principal client à ce jour est le Corps des Marines.
Sur ce dernier point, il faut signaler que le 19 octobre dernier les autorités de l’institution ont demandé à ralentir le déploiement de ces matériels en Irak sous le double motif qu’ils étaient « trop lourds » (les Marines se voulant « expéditionnaires ») et qu’ils répondaient à un besoin tactique immédiat (contrer les IED) mais pas forcément pertinent dans le futur.
Concernant son usage tactique, le MRAP est effectivement efficace en protection des forces. Toutefois, son usage en contre-insurrection est fortement discuté: imposant, menaçant, isolant.
Enfin, il est intéressant de noter que James CONWAY, commandant du Corps des Marines (CMC), a pris cette décision à l’invitation du think tank CBSA (Center for Budgetary and Strategic Assessment) qui a produit un rapport sur le sujet. Ce groupe a été formé à l’initiative du LCL en retraite de l’Army Andrew KREPINEVICH. Connu pour un livre contestant la version officielle de l’institution sur la guerre du Vietnam, KREPINEVICH fut dans les années 1990 l’un des principaux promoteurs de la « Révolution dans les Affaires Militaires » (RMA). A ce titre, son think tank continue aujourd’hui à pourchasser les programmes d’acquisition qui lui semble inutiles et dépassés. Dans ce rapport, il est souligné notamment l’inutilité de tout blindage excessif en contre-insurrection. Voila de quoi donner du grain à moudre à Joseph HENROTIN. En effet, l’idée qu’il faille se débarrasser des chars et autres unités blindées est typique des partisans de la RMA qui pensent « light », à l’instar de Douglas McGREGOR en 2003 ou encore de D. RUMSFELD lui-même (cf. le modèle afghan: des forces spéciales, des munitions à guidage de précision, des milices locales). Or, loin d’être rendu caduc par la contre-insurrection, le blindage reste un élément essentiel de la protection des forces, notamment en combat urbain, mais aussi dans la lutte anti-IED (à noter d’ailleurs, digression nécessaire, que certaines unités retrouvent les joies de l’air assault -soient les déplacements par hélicoptère- notamment dans le sud de BAGDAD).
Enfin, n’oublions pas que la principale protection de la force doit venir d’elle-même, c’est à dire de sa capacité à garder l’initiative, en déniant à l’ennemi la possibilité de la surprendre. Des patrouilles impromptues, l’absence de routine, des raids d’intimidation même en situation de faiblesse, la dissuasion par la démonstration de la capacité de destruction de la force: voilà les clés d’une protection efficace d’autant plus qu’elle garantit le succès tactique.