A l’assaut de la “corbeille à pain”

Il s’agit là d’une région située dans la province de DIYALA (Division Multinationale Nord), au NE de BAQUBAH la capitale provinciale. Bordé au N par la rivière DIYALA et le lac HAMRIN et au S par la ville de MUQDADIYAH, pacifiée lors de l’opération Iron Reaper en novembre-décembre 2007, le Breadbasket est une région d’habitat dispersé principalement couverte par des palmeraies et des vergers denses, y rendant les opérations difficiles. Depuis le début de 2006, c’est un des sanctuaires principaux d’AQI en Irak dans lequel l’organisation extrémiste s’est imposée par l’intimidation psychologique (imposition de lois strictes, menaces de mort à la moindre infraction) et par les exactions (enlèvements, torture, exécutions).

Carte DIYALA

Chassés de BAQUBAH entre juin et septembre, puis de MUQDADIYA en novembre-décembre, les membres d’AQI se sont donc réfugiés dans cette zone.

Depuis le 8 janvier, l’opération Iron Harvest, inclue dans la manœuvre de niveau Corps Phantom Phoenix, a permis aux forces américaines de pénétrer dans le breadbasket (opération Iron Raider ciblant les réseaux d’AQI autour de la zone puis opération Raider Harvest destinée à la nettoyer et à installer des troupes au cœur du sanctuaire).

Plus particulièrement, la 4ème brigade de la 2ème division d’infanterie (TF WARHORSE) est le fer de lance de l’opération. En son sein, le 3ème escadron du 2ème régiment de cavalerie sur véhicules STRYKERS est l’unité de pointe de l’opération. Elle a perdu 6 hommes et un interprète lors de l’explosion d’une maison piégée (House-Borne Improvised Explosive Device ou HBIED).

Le schéma est toujours le même: entrer en force dans la zone, installation au coeur des villages, recrutement de milices locales puis poursuite de la pacification par la connaissance accrue du « terrain humain », c’est à dire des conditions sociopolitiques et anthropologiques propres.

Les vestes de combat chez les Marines

Dans la lignée de mon article sur les aspects sociologiques et tactiques des véhicules en COIN, le blog Captain’s Journal met en ligne une discussion intéressante sur une nouvelle dont j’avais eu vent dans la journée d’hier concernant la fourniture de nouvelles vestes de combat au sein du Corps des Marines.

Pour résumer, le commandant du Corps James CONWAY, de retour d’Irak, aurait demandé de stopper la fourniture de Modular Tactical Vest (MTV) au profit de ses Marines déployés sur le théâtre au motif que celles-ci seraient trop lourdes et peu pratiques.

Une première remarque: cela fait deux fois en un mois que le Corps des Marines connaît des soucis concernant l’acquisition de nouveaux matériels. J’y reviendrai plus tard car c’est ici que se situe la clé du problème à mon sens.

Poursuivons: le blog montre, photo à l’appui, que ce débat n’a pas de sens. Au contraire, il semblerait qu’il n’y ait aucune différence de poids entre la MTV et les « Interceptors » antérieurement fournies aux Marines. Bien plus, la plupart des Marines déployés en Irak (ici, ceux du 2/6 BAT, unité à laquelle appartient le fils du blogueur) se sont procurés personnellement la version « civile » de la MTV (la Spartan 2), ceux qui n’avaient pu le faire ont même demandé à leur famille de leur envoyer la MTV directement sans passer par les magasins de Corps. Bref, la nouvelle veste a fait l’unanimité.

L’article du Captain’s Journal conclut en montrant que les plaintes proviendraient des Marines non habitués à porter ce genre de veste, c’est à dire ceux des unités de soutien.

Plusieurs points me semblent intéressants pour comprendre la polémique:

  1. cette distinction est étrange, sachant que tout Marine est un fantassin, du moins selon l’ethos du Corps
  2. ce qui implique qu’il y a ici un enjeu identitaire avant que d’être tactique: il ne faut pas ouvrir une brèche au sein du Corps entre combattants et unités de service et de soutien.
  3. un indice: parle-t-on de « vestes » ou de « body armor« ? Les deux vêtements ont des caractéristiques identiques alors que les deux termes désignent des effets aux usages différents.
  4. la meilleure: CONWAY dit qu’il n’aime pas mettre ledit effet. Comment l’expliquer?

Mon interprétation: ce vêtement renvoie à la conception que le commandant du Corps des Marines se fait de son institution. En effet, il a insisté plusieurs fois sur la nécessité de revenir aux fondamentaux « expéditionnaires » du Corps. Rappelons que la fourniture des MRAPs a été stoppée pour la raison qu’ils étaient trop « lourds » à déployer. Cette difficulté à accepter « l’alourdissement » du Corps renvoie d’ailleurs à des débats antérieurs sur le concept de « guerre de manoeuvre expéditionnaire » lorsque, après la guerre du Vietnam, le général GRAY, futur commandant du Corps, bataillait pour savoir si il fallait aligner ou non les Marines sur l’Army, notamment en le dotant d’unités plus blindées capables de défaire les troupes du Pacte de Varsovie à la périphérie.

Si les matériels militaires correspondent ainsi à des soucis d’ordre bureaucratique (budget, influence, autonomie), ils reflètent également les préoccupations identitaires et les rôles construits par les dirigeants militaires. Qu’est-ce que cela change pour le jeune Marine déployé en Irak? Peu sur le plan tactique (je vous laisse lire l’analyse du Captain) mais certainement plus sur le plan de l’identité renvoyée par son chef (le commandant du Corps a un statut quasi-divin au sein de l’USMC).

ANNEXE: le Corps des Marines vient de publier sa propre version du Corps permanent de conseillers militaires (le Security Cooperation Marines Air-Ground Task Force). Intéressant car il permet de régler le principal problème rencontré par les unités du Corps en COIN/Irak, à savoir le manque de personnels pour les actions civilo-militaires ou les opérations sur les informations.

SCMAGTF

Querelles narratives

Comme je l’ai déjà indiqué, l’un des points essentiels de ma réflexion historiographique porte sur les conditions de possibilité ayant mené au tournant que nous observons actuellement en Irak, en dépit de nombreux sujets d’inquiétudes, notamment dans le domaine politique (dossier du Long War Journal).

Or, il faut constater qu’au sein des institutions militaires, et notamment l’Army, celles-ci sont loin de faire l’unanimité. En bref, s’est progressivement construite une narration dominante qui repose sur trois aspects:

  1. la stratégie de contre-insurrection implémentée par David PETRAEUS et rendue possible par le surge
  2. le cessez-le -feu unilatéral proclamé par Moqtada Al -Sadr en août 2007 et reconduit la semaine dernière.
  3. le mouvement des « Fils de l’Irak »/Citoyens Locaux Engagés/ »Réveil » d’ANBAR sur lequel les historiens auront sans doute à se pencher longtemps (j’ai déjà examiné quelques aspects de ce phénomène, mais il faudra que je me penche plus attentivement sur le problème pour ma thèse, les quelques éléments que j’ai donnés étant encore superficiels)

Cette narration n’est pas satisfaisante sur plusieurs points, notamment car elle semble ignorer tout les éléments déjà en place dès 2003. Notamment, le LCL GENTILE, avec qui j’ai eu de nombreux échanges par courriel, conteste la narration dominante en estimant qu’elle présente des dangers institutionnels: la focalisation excessive sur la COIN, l’aberration supposée que représente selon lui le déplacement du centre de gravité vers la population au détriment de l’ennemi, l’attention exagérée portée à certains « innovateurs ». Au-delà, ce qui chagrine le LCL GENTILE est le déni dans lequel la narration dominante plonge ses actions et celles de ses camarades en 2004 et surtout en 2006. En d’autres termes, cette narration suscite en lui un sentiment d’injustice parfaitement compréhensible, sans toutefois qu’il ne perde jamais son sang-froid et sa courtoisie.

Le blog « Abu Muqawama » reprend l’historique de ces polémiques sans enfoncer toutefois le LCL GENTILE. J’invite mes lecteurs anglophones à relire le post et les discussions placées en liens.

Une seule remarque: tout ceci montre comment la compétition narrative induite par l’émergence de la contre-insurrection au sein de l’Army joue un rôle réel, non seulement dans l’écriture de l’histoire, mais aussi dans les redéfinitions identitaires, certes nécessaires, en jeu en son sein. Il est crucial que des personnes telles que le LCL GENTILE puissent s’exprimer car ils ouvrent une porte sur d’autres interprétations possibles du phénomène de la contre-insurrection en Irak.

Bibliographie du LCL GENTILE:

Military Review Mars-avril 2008

-plusieurs articles dans Armed Forces Journal

-plusieurs articles et éditoriaux dans la Presse quotidienne d’information

Le LCL GENTILE est docteur en Histoire et enseigne l’histoire américaine à l’Académie Militaire de West Point. Avant cela, il fut executive officer d’une brigade de la 4ème division à TIKRIT (première polémique dans un article du WP en janvier 2004 sur les procédures des Marines jugées trop souples « The Risks of Velvet Gloves »), puis commandant d’un bataillon dans les quartiers ouest de Bagdad.

Les Marines laissent la vedette aux Irakiens…

… dans la ville de HADITHA. Située au NO de BAGDAD dans la province d’ANBAR, célèbre pour son massacre (?), son film et même son documentaire (sur PBS), la ville était jusque ici sous la protection du 3ème bataillon du 23ème régiment des Marines.

Depuis hier, les Marines ont donc abandonné leur COP au centre de la ville pour s’établir dans un FOB aux portes de celles-ci. Retour en arrière? (HADITHA a été pacifiée en 2006 comme Al QAIM ou RAMADI) En fait, il s’agit de laisser faire l’armée irakienne tandis que les Marines opèrent en arrière-plan (en continuant leurs patrouilles quotidiennes).

Une remarque: tout ceci est bel et bon, mais il faut rappeler comment les Marines et l’Army ont réussi à « retourner » ANBAR….. En prenant justement la place de l’armée irakienne, jugée alors trop « chiite » par les habitants sunnites de la Province, qui lui préféraient la Police Locale (ou AQI)

MRAPs et Strykers: la COIN et les véhicules blindés de combat d’infanterie

Le sujet peut paraître marginal dans l’étude de la contre-insurrection en Irak. Il n’en est rien car il recoupe au moins trois interrogations:

  • la première est d’ordre sociologique: le choix d’un VBCI ou d’un blindé dans le cadre de la contre-insurrection se fait dans un cadre institutionnel où se télescopent les rivalités bureaucratiques, les considérations identitaires et les débats opérationnels. Pour faire court, il s’agit d’un opposition croisée entre, d’une part, les partisans de la « transformation » des forces (plus de modularité -version Army-, plus d’agilité « expéditionnaire » -version Marines) contre ceux des programmes d’acquisition « hérités » (legacy systems, c’est à dire hérités de la « guerre froide »), et, d’autre part, les promoteurs de la contre-insurrection contre ceux des opérations conventionnelles.
  • La seconde est d’ordre tactique: les VBCI sont-ils adaptés au combat urbain, ou sont-ils taillés pour la contre-insurrection?
  • La troisième est d’ordre technique: quelles résistance, quelle mobilité, quelle puissance de feu?

Dans le cas des deux véhicules cités en titre, le problème majeur est celui de l’adéquation entre la résistance aux Improvised Explosive Devices (IED), la mobilité en terrain urbain ou semi-urbain et l’ouverture « sociale » qu’ils permettent dans les relations avec la population.

C’est d’autant plus d’actualité depuis le 17 février, jour où l’Associated Press a fait mention d’un rapport concernant la fourniture de véhicules type MRAP (Mine Resistant Ambush Protected) dans les unités de Marines déployées en Irak. Selon Franz GAYL, auteur du rapport, la fourniture du véhicule aurait été stoppée par les services de logistique et d’acquisition de l’USMC, alors même que les commandants d’unité sur le terrain le réclamaient. La polémique a enflé lorsque GAYL a indiqué que ce délai inutile aurait coûté des vies, le MRAP semblant bien étudié pour contrer la menace des explosifs improvisés (IED). Après avoir réclamé une enquête, les officiels du Corps des Marines auraient décidé de mettre fin aux recherches de GAYL.

Quoiqu’il en soit des problèmes bureaucratiques que cela implique, il est intéressant de se pencher sur les caractéristiques de ce véhicule, en gardant à l’esprit que les pertes ne dépendent pas que du matériel, mais avant tout des décisions humaines et de la friction inhérente à la guerre.

MRAP

En supplément, une animation sur le MRAP:

MRAP Flash
Concernant le STRYKER, même si le véhicule a été enterrée par de nombreux spécialistes de la COIN pour sa vulnérabilité autant que pour sa « fermeture » sociale, d’autres témoignages indiquent l’inverse, notamment du fait de sa mobilité et de sa puissance de feu.

Est-il nécessaire d’ajouter qu’aucun des deux véhicules ne fournit une protection suffisante contre les EFP (Explosively Formed Projectiles) dont sont friands les groupes spéciaux pro-iraniens ou les milices de Moqtada Al Sadr

mise à jour/précisions:

Mon propos n’est évidemment pas de comparer les deux matériels. Ils ne boxent pas dans la même catégorie:

  • le Stryker est un VBCI (Mowhag suisse 8X8). Il arme les brigades intérimaires (IBCT), c’est à dire les unités qui ne sont pas encore « transformables » (et donc dans l’attente du Future Combat System)
  • le MRAP est un véhicule de transport type HUMWEE, développé à la demande du Pentagone (800 000$ pièce!) mais dont le principal client à ce jour est le Corps des Marines.

Sur ce dernier point, il faut signaler que le 19 octobre dernier les autorités de l’institution ont demandé à ralentir le déploiement de ces matériels en Irak sous le double motif qu’ils étaient « trop lourds » (les Marines se voulant « expéditionnaires ») et qu’ils répondaient à un besoin tactique immédiat (contrer les IED) mais pas forcément pertinent dans le futur.

Concernant son usage tactique, le MRAP est effectivement efficace en protection des forces. Toutefois, son usage en contre-insurrection est fortement discuté: imposant, menaçant, isolant.

Enfin, il est intéressant de noter que James CONWAY, commandant du Corps des Marines (CMC), a pris cette décision à l’invitation du think tank CBSA (Center for Budgetary and Strategic Assessment) qui a produit un rapport sur le sujet. Ce groupe a été formé à l’initiative du LCL en retraite de l’Army Andrew KREPINEVICH. Connu pour un livre contestant la version officielle de l’institution sur la guerre du Vietnam, KREPINEVICH fut dans les années 1990 l’un des principaux promoteurs de la « Révolution dans les Affaires Militaires » (RMA). A ce titre, son think tank continue aujourd’hui à pourchasser les programmes d’acquisition qui lui semble inutiles et dépassés. Dans ce rapport, il est souligné notamment l’inutilité de tout blindage excessif en contre-insurrection. Voila de quoi donner du grain à moudre à Joseph HENROTIN. En effet, l’idée qu’il faille se débarrasser des chars et autres unités blindées est typique des partisans de la RMA qui pensent « light », à l’instar de Douglas McGREGOR en 2003 ou encore de D. RUMSFELD lui-même (cf. le modèle afghan: des forces spéciales, des munitions à guidage de précision, des milices locales). Or, loin d’être rendu caduc par la contre-insurrection, le blindage reste un élément essentiel de la protection des forces, notamment en combat urbain, mais aussi dans la lutte anti-IED (à noter d’ailleurs, digression nécessaire, que certaines unités retrouvent les joies de l’air assault -soient les déplacements par hélicoptère- notamment dans le sud de BAGDAD).

Enfin, n’oublions pas que la principale protection de la force doit venir d’elle-même, c’est à dire de sa capacité à garder l’initiative, en déniant à l’ennemi la possibilité de la surprendre. Des patrouilles impromptues, l’absence de routine, des raids d’intimidation même en situation de faiblesse, la dissuasion par la démonstration de la capacité de destruction de la force: voilà les clés d’une protection efficace d’autant plus qu’elle garantit le succès tactique.

contre-insurrection et culture des institutions militaires

Thomas Renard publie un excellent témoignage d’un ancien chef de section/commandant d’unité en Irak, Chris KUCHARSKI. L’idée principale de cet article s’articule autour de deux constats:

  1. l’auteur compare les procédures de la compagnie Alpha, à laquelle il appartient, et celles de la compagnie Charlie, toutes deux se relayant dans l’université de MOSSOUL en avril-septembre 2003. Si la première tente de nouer des contacts avec les autorités locales et se voit comme une troupe de maintien de la paix, la seconde ne cesse de mener des patrouilles et des raids agressifs au sein de sa zone.
  2. la culture interne de l’Army, et plus particulièrement de l’infanterie, évalue les compétences d’un chef et d’une troupe en fonction de critères « cinétiques » et de résultats en terme d’ennemis neutralisés. De ce fait, les incitations à mener des actions de stabilisation plus mesurées/définies en terme d’effet à obtenir sur la population locale sont très limitées, voire inexistantes.

Nous sommes donc au coeur du paradigme culturel: la variable de la « culture organisationnelle » (soient les valeurs principalement définies comme vitales et reproduites au sein de l’organisation) est la raison principale de l’échec ou du succès à « apprendre » la contre-insurrection. C’est le sens du travail déjà effectué par John NAGL: les forces américaines au Vietnam ont échoué à prendre précocement des mesures efficaces car celles-ci tranchaient trop avec les valeurs et les structures institutionnelles, lors même que les Britanniques en Malaisie auraient réussi une telle adaptation du fait d’une culture et de structures plus souples.

Plus précisément, l’Army serait handicapée par une vision de la guerre fondée sur le paradigme de la « grande guerre » (parfois définie comme la « guerre conventionnelle » -donc en fonction de conventions arbitraires!). A la suite de la guerre du Vietnam, une reconstruction de l’institution aurait eu lieu vers une identité de repli s’arcboutant sur les valeurs guerrières et le primat des opérations offensives et défensives. De ce fait, tant les procédures de contre-insurrection que toutes les réformes institutionnelles prises durant la guerre du Vietnam (le rôle des Forces Spéciales dans l’encadrement des milices locales, l’unité de commandement de la pacification, la protection des zones peuplées plutôt que la poursuite sans fin des unités Vietcong) ont été abandonnées, voire rejetées. Deux conséquences: le développement d’une doctrine opérative fondée sur la « force écrasante » destinée à obtenir une victoire rapide sur le champ de bataille -mais oubliant que la victoire résulte de l’adéquation entre la victoire opérationnelle et les objectifs stratégiques- et la confiance de plus en plus importante dans la technologie comme horizon ultime de la stratégie (et de la tactique, mécaniquement déduite de tâches linéaires).

De fait, l’argument culturaliste est pertinent: la conduite d’une mission dépendra étroitement du rôle que le chef et son unité se prêtent. Toutefois, plusieurs nuances doivent être apportées à cette variable:

  • la conduite de la mission dépend aussi de l’entraînement et de l’analyse de la situation initiale: dans l’exemple cité plus haut, l’un des commandants d’unité a compris sa mission dans un contexte de combat, tandis que l’autre a bien perçu qu’il était en stabilisation. Dans ce cadre, la culture peut agir comme un filtre.
  • D’autres filtres existent que la culture institutionnelle: les expériences antérieures, personnelles tant que collectives (que je regroupe sous le terme « d’expériences combattantes »), les considérations personnelles (d’ordre philosophique ou moral par exemple). Le cas de la Bosnie ou de Haïti semblent les plus pertinents dans cet exemple.
  • Si la culture est un conditionnement certain (certaines missions et certains postes étant survalorisés en fonction de leur adéquation avec le coeur des valeurs de l’institution), elle n’est pas un déterminisme. En d’autres termes, on ne peut faire reposer une analyse des conditions du changement au sein des organisations militaires sur ce seul critère. D’autre part, si la culture agit sur les perceptions, les interprétations, les procédures routinières des militaires, elle n’est pas un donné figé mais dépend des compétitions que se livrent plusieurs groupes au sein de l’institution.
  • Ainsi, la culture est davantage une variable politique que des groupes divers mettent en jeu. Il n’est pas mécaniquement nécessaire de modifier la culture pour modifier un comportement. En revanche, il est certainement politiquement nécessaire de mettre en branle de tels changements culturels. Ceux-ci peuvent être rapides ou long, en fonction du degré et de la forme d’intériorisation des normes antérieures. Dans le cas cité par le cne KUCHARSKI, il s’agit de conditionnements puissants car fortement intériorisés, mais qui peuvent être contrebalancés par des nécessités présentées comme opérationnelles ou vitales à la réussite de la mission.

Ce dernier point explique pourquoi, à mon avis, il est nécessaire que se nouent des alliances et des coalitions pour que se produisent des changements. Ces coalitions doivent associer la tête de l’institution (pas forcément son dirigeant nominal d’ailleurs-CASEY paraît un peu excentré et hors sujet) et des éléments capables d’infuser le changement.

Si il y a donc une variable nécessaire, ce sont les facteurs personnels. Dans le débat entre individualisme méthodologique et holisme, je pencherais plutôt pour le premier, bien qu’un dialogue, tant épistémologique qu’ontologique, soit nécessaire entre eux.

Le FM 3-0…

….enfin en ligne sur le site officiel de l’Army. Bonne lecture

couverture FM 3-0

Le mécontentement grandit chez les “Fils de l’Irak” (SoI)

Un article récent du Washington Post généralise les impressions déjà données par McLEARY sur la zone d’opération du 1/21ème d’infanterie, à savoir la désillusion croissante de certaines milices d’autodéfense connues sous le sobriquet de « Fils de l’Irak » (SoI). J’ai déja longuement parlé de ces dernières et de la complexité que représente l’analyse de ce phénomène.

Il semble que dans certaines régions le mouvement connaisse un repli:

  • dans la province de DIYALA (ENE de BAGDAD), les SoI se sont déjà mis en grève au début du mois pour protester contre le maintien en fonction du général AL-QHREISHI, le chef chiite de la police accusé de diriger des « escadrons de la mort » contre les Sunnites.
  • dans la province de BABIL (S de BAGDAD), des SoI ont été tués par les forces américaines, notamment le 15 février.

Si l’article fournit des exemples réels du mécontentement, il échoue à mon avis à rendre compte précisément de ce qui se passe sur le « front » des milices supplétives. Certes, les attaques dont elles sont victimes ont augmenté le mois dernier, le rapprochement avec le gouvernement irakien piétine dans certaines zones cruciales (notamment BAQUBAH, la capitale de la province de DIYALA), et les infiltrations par AQI sont prouvées (certainement dans les incidents survenus à BABIL). Toutefois, on ne saurait tenir pour rien le développement réel des groupes de SoI, tant à ARAB JABOUR, qu’à SALMAN PAK et même à KIRKOUK. Dans ces zones nouvellement pacifiées, les SoI tiennent une place cruciale dans la sécurité locale et reflètent la mentalité de ces communautés qui se gèrent en autonomie.

Des problèmes demeurent surement: les SoI ont été désignés par AQI comme ses ennemis principaux, les milices et les groupes spéciaux chiites ou pro-iraniens les menacent, la confiance entre les SoI et le gouvernement est loin d’être acquise (la question de l’incorporation des miliciens sunnites dans l’armée et la police nationale restant problématique, au moins à l’échelle locale), l’entente entre les milices (qui représentent le pouvoir local des cheiks) et l’armée irakienne (perçue comme l’arme des Chiites, ou des Kurdes, dans la guerre civile, mais aussi vue comme l’instrument du pouvoir central) reste faible et donne parfois lieu à des incidents.

Tout ceci démontre la difficulté à contrôler les milices supplétives en contexte de stabilisation/contre-insurrection: il faut à la fois les tenir au plus près mais aussi être capable de négocier sur le long terme au sujet de leurs revendications, qui varient entre les demandes d’infrastructures et de services essentiels jusqu’à la reconnaissance de leur rôle dans le combat pour la pacification.

Une dernière remarque: l’article du Washington Post est biaisé en ce sens qu’il collecte des données dispersées au service d’une thèse prédéfinie, à savoir le mécontentement croissant des miliciens sunnites. Même si ce dernier existe localement pour les raisons qu’il décrit d’ailleurs fort bien, cela ne suffit pas à rendre compte de la totalité du phénomène.

Des chiens pour détecter les explosifs

C’est le choix effectué par les compagnies de Police Militaire déployées à Mossoul depuis l’explosion de 20 000 tonnes d’explosifs dans un immeuble du centre-ville le 24 janvier.

Mise à jour et correctif: une autre source signale plutôt 2000 tonnes…. ce qui semblerait plus réaliste (j’ai même été jusqu’à me demander si il s’agissait vraiment de tonnes métriques!!!)

Mise  à jour n°2: L’auteur de l’info sur le tonnage des explosifs s’en tient à 2000… Mais cela semble vraiment excessif donc MEF (et à moi de mieux vérifier mes sources, bonne leçon)

Opération “Restore Peace”

Depuis le début du mois de février, les initiatives visant à la réconciliation des insurgés se multiplient dans la zone d’opération de la TF IRON (Division Multinationale Nord). C’est notamment le cas des mesures de réconciliation/réinsertion menée à HAWIJAH dans le district de KIRKOUK dans le cadre de « Restore Peace« .

Le 3 février, 27 insurgés s’étaient déjà rendus de leur plein gré (à la demande de chefs tribaux se ralliant ou incités par les organisations de surveillance au sein des SOI) à la FOB McHENRY. Ils étaient suivis le 10 février par 85 autres et enfin 104 le 24 février.

Il s’agit d’un processus en 6 étapes:

  • une démarche volontaire pour demander à entrer dans le processus
  • le désarmement et l’entrée dans le fichier biométrique (celui-ci est utilisé également pour le recrutement des SOI ou des membres de la police locale)
  • une période d’observation de 90 jours pendant laquelle le candidat à la réinsertion s’abstient de toute activité en rapport avec l’insurrection.
  • une période supplémentaire de 60 jours pendant laquelle le candidat est soumis à des enquêtes complémentaires et reçoit de l’aide d’une commission le sponsorisant, notamment dans le domaine financier (dans d’autres régions de l’Irak, notamment vers ARAB JABOUR, une politique de micro-crédit lancée par les militaires américains et les Equipes Provinciales de Reconstruction a permis cette même incitation au ralliement)
  • une déclaration publique d’allégeance au gouvernement irakien
  • une évaluation continue du comportement du rallié

Copié sur le processus DDR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion/Réconciliation) mis en oeuvre sous l’égide de l’ONU en de nombreux endroits du globe (j’ai eu l’occasion d’étudier quelque peu le cas de la République Démocratique du Congo en 2006), ces initiatives montrent que la stratégie américaine consiste à faire monter en puissance le gouvernement irakien et à développer son autorité au plus vite, notamment chez les Sunnites. Plus concrètement, elles nous apprennent que les insurgés sont désormais aux abois et que la base de recrutement de AQI se tarît très vite par conséquence des opérations menées en 2007 (notamment Phantom Strike entre août et janvier).

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