Alors que s’approche à grand pas la date fatidique marquant symboliquement le passage à un Irak plus « souverain », les grands journaux américains déploient quelques trésors de reportages, parmi lesquels se trouvent deux pépites, en ce sens qu’elles nous restituent les états d’esprit ou plus précisément un renseignement « d’ambiance » comme l’historien aime en lire parfois.
Le New York Times exprime les doutes des militaires américains -mais aussi irakiens- sur la nécessité (théoriquement prescriptive depuis quelques temps déjà) de disposer de mandats d’arrêts avant de capturer des suspects. On aura bien entendu noté l’hybridation entre les missions militaires et les missions de police en « contre-insurrection », mais ici la question est ailleurs. En effet, le délai supposé d’obtention de tels documents semble contredire a priori l’impératif de rapidité qui court entre l’obtention d’un renseignement et l’appréhension d’une « cible de haute valeur » (HVT dans le jargon militaire américain). On tente de rassurer les officiers en leur présentant la possibilité d’obtenir des arrêts de détention a posteriori pour peu que, comme dans le cas d’un mandat d’arrêt délivré a priori par un juge, on puisse trouver deux témoins contre la personne capturée. Mais même cet « espoir » semble rendu pessimiste par le rôle croissant des forces de police, comme l’exige d’ailleurs la « théorie galulienne » qui stipule qu’il faut faire des transitions entre les militaires contre-insurgés, les forces locales et les policiers.
On aura reconnu à travers ces dilemmes et ces questionnements plus ou moins légitimes un autre paradoxe de la « contre-insurrection » telle que veulent la mener les Américains: à savoir la nécessité de la légitimité éthique de l’action militaire, qui ne peut simplement se contenter de « diaboliser » l’ennemi pour le séparer de la population (contrôle de la population et information operations), mais qui doit nécessairement s’interdire de violer les engagements en matière de respect des droits de l’Homme. PETRAEUS est en effet l’homme qui refuse de tomber dans le mimétisme de la « contre-terreur » et qui, en tant que tel, a plusieurs fois tenté d’enrayer les dérives observables à tout les échelons. Quand bien même ces dernières seraient l’oeuvre de « marginaux » ou, a contrario, encouragées par les discours politiques ou des décideurs militaires, elles lui apparaissent comme contre-productives (la vieille morale utilitariste à la JS MILL) voire comme contraires à l’identité du militaire américain.
Or, l’Histoire (notamment celle que les Américains ont prise en exemple, à savoir les Britanniques en Irlande et les Français en Algérie, mais aussi celle dont ils sont issus -la doctrine « LIC/FID » s’appuyant sur des forces spéciales agissant parfois par mimétisme) enseigne que le cas le plus difficile à traiter est justement celui des « personnes capturées » (pour reprendre la terminologie militaire française). N’étant pas des Prisonniers de Guerre, ils ne peuvent être détenus jusqu’à la fin des hostilités. Il est donc nécessaire de les juger et de bien les traîter et d’éventuellement les relâcher (les innocents étant souvent les victimes des opérations de ratissage tant que le renseignement ne fonctionne pas à plein régime, c’est à dire tant que la population ne se sent pas assez en confiance/n’a pas assez peur du contre-insurgé). Or, le système judiciaire irakien, aussi bien que l’impératif politique du « renseignement pour anticiper » dans le cadre de la « guerre à la Terreur », ont conduit à plusieurs dérives: arrestations arbitraires, détentions sommaires et prolongées, torture parfois (mais peut-être systématique à certains moments et dans certains lieux), « exécutions extrajudiciaires » (plusieurs militaires américains ont été reconnus coupables ou passent actuellement en jugement pour de tels crimes commis entre 2003 et 2007), voire approbation tacite des exactions commises par la police irakienne (les milices sunnites cooptées en 2004, les polices locales en 2006, les milices sunnites de 2007, etc.).
Ainsi, la nouvelle situation, théoriquement à l’épreuve depuis deux ou trois mois, peut conduire à mieux respecter encore les impératifs humanitaires et éthiques, comme elle peut paralyser totalement les actions sécuritaires. Il serait dommageable à mon sens de ne pas tenir compte des préoccupations des forces de sécurité, qui ne reposent pas toutes sur le fantasme d’une menace polymorphe ou sur des présupposés politiques, mais qui s’enracinent aussi dans une expérience combattante (ou une proximité culturelle pour les forces irakiennes) laquelle est parfois bien enracinée maintenant. Là comme dans d’autres domaines, le maintien de l’ordre en 2009 à BAGDAD et en Irak sera ce qu’en feront les acteurs principaux.
Le Washington Post révèle la vie quotidienne des habitants d’un quartier de BAGDAD confronté aux barrières qui l’encerclent. Il ne s’agit pas seulement des désagréments liés au passage du point de contrôle donnant accès à leur quartier, mais surtout de la place que prennent ces barrières dans le paysage. Non seulement elles divisent et structurent l’espace, mais il ne faudrait pas en déduire qu’elles restent étrangères aux habitants. Ceux-ci en effet semblent se les approprier, notamment en les décorant, en s’en servant comme support pour les affiches électorales, voire en les utilisant comme espace d’expression « libre ». Preuve si il en est que la géographie des villes en guerre considère aussi les aspects symboliques et, comme toute géographie, les interactions entre les sociétés et groupes humains et l’espace qu’ils habitent. En ce sens, les barrières érigées dans BAGDAD, dont certaines sont d’ores et déjà détruites, renvoient à de nouveaux territoires.
Et à nouveau, je souhaite mes meilleurs voeux à tous pour cette nouvelle année….