Il est intéressant de poser la question, à l’heure où les négociations sur le SOFA conduisent à donner davantage d’influence et de stature politique au Premier Ministre irakien.
En réalité, il nous semble bien qu’il faille répondre à cette alternative en la dépassant: si le discours manie une rhétorique nationaliste, la pratique est bien souvent communautariste.
Me servant des analyses toujours fines et pertinentes de Reidar VEISSER, je propose ma propre synthèse sur le sujet.
Un discours nationaliste:
Le SOFA illustre parfaitement la logique nationaliste qui sous-tend les discours et la posture de Nouri Al-Maliki. En effet, le traité, si il devait être accepté, consacrerait la réalisation d’une politique visant à donner à l’Irak une position internationale d’Etat souverain. De fait, il s’agit d’un traité bilatéral qui permettrait d’effacer le « stigmate » du Chapitre VII de la Charte des Nations-Unies (en l’occurrence, la résolution 1483 datant de juillet 2003).
Mais, au-delà d’une réflexion visant à redonner un statut juridique plein et entier au pays qu’il est censé diriger, la posture de MALIKI -intransigeance sur la date de retrait, sur les conditions de l’immunité des troupes américaines, sur la coordination irakienne des opérations de sécurité intérieure- semble surtout chercher à mobiliser le sentiment nationaliste, dont on a vu qu’il était vigoureux tant chez les adversaires chiites du PM (SADR par exemple) que chez les Sunnites. En d’autre terme, le PM cherche à devenir « l’homme fort » de tout les Irakiens en mobilisant une identité nationale mise à mal par 5 années de présence américaine (ou, pour mieux dire, en dépit de cette présence).
Instrumentaliser les Américains:
Mais le plus intéressant réside surtout dans les conditions de ce traité. En aucune manière il ne s’agit du cadre stratégique global de relations bilatérales que cherchait l’administration BUSH au début de l’année.
Ainsi, le SOFA conduirait presque immanquablement à confiner les troupes américaines dans des « super-bases » en dehors des villes, limitant leur rôle à l’assistance technique et militaire qui semble si chère à certains partisans de la contre-insurrection au sein des forces armées. Les conseillers militaires américains seraient donc ainsi les garants de la poursuite de la formation et de la montée en puissance des forces armées irakiennes, dont on a vu combien elles sont importantes pour le PM. Son parti, le DAWA, ne dispose en effet d’aucune milice, face à ses concurrents du Conseil Suprême Islamique (Badr Corps) et de Moqtada SADR (les JAM).
C’est ainsi que je propose de comprendre les conditions délimitant les compétences des tribunaux irakiens et des tribunaux américains concernant les personnels civils et militaires américains. Il s’agit de forcer les conditions qui conduiront de facto à limiter l’emprise américaine sur les opérations militaires. On a vu ainsi comment la pression gouvernementale a réduit puis éliminé la présence britannique à BASSORAH, avant que les forces gouvernementales ne prennent d’assaut la ville devenue un lieu de compétition et de ressources du pouvoir pour les adversaires du PM.
S’assurer une base large:
Par ailleurs, tout indique que MALIKI entend détourner à son profit les mécanismes formels de réconciliation mis en place au cours de l’année 2007, et notamment les Conseils de Soutien Provinciaux. Après les tentatives de court-circuiter le Conseil Provincial de DIYALA -aux mains d’une alliance entre le Conseil Suprême Islamique et les tribus sunnites- c’est au tour des provinces méridionales de DHI QAR et MAYSAN de faire l’objet des tentatives de récupération politique du PM. En tentant de contrôler les cheiks locaux via les Conseils de Soutien, il s’agit de se constituer une « clientèle » stable, à la manière des Américains dans le « Triangle Sunnite », face aux concurrents chiites.
Ceux-ci se voient d’ailleurs doublés dans leurs discours traditionnels. La condition menant au retrait des forces américaines des villes à l’été prochain est une reprise des demandes de SADR dès 2003. Le Conseil Suprême Islamique est concurrencé quant à lui sur le problème du soutien iranien. En effet, MALIKI voit bien comment le soutien de l’Iran face aux Etats-Unis lui permet d’instrumentaliser ces deux puissances l’une contre l’autre, et ainsi de conduire à une possible semi-autonomie une fois les Américains partis.
Les visées communautaristes:
Celles-ci semblent obscurcies par la dynamique nationaliste. Au premier abord en effet, il semble que le PM s’est construit une image de « rassembleur » face aux séparatismes de tout poil: limiter l’ambition des Kurdes sur KHANAQIN, empêcher l’émergence de milices sunnites propres à morceler l’Irak, contrer les visées fédéralistes du Conseil Suprême Islamique.
Cependant, on constate combien MALIKI ne semble pas concerné par les véritables enjeux d’une réconciliation nationale: le partage des revenus pétroliers (qui sont aujourd’hui détournés au profit de quelques entrepreneurs politiques, au détriment de la reconstruction du tissu socio-économique, aujourd’hui financée par le contribuable américain via les fonds utilisés par les militaires américains et les Equipes Provinciales de Reconstruction), l’intégration des milices sunnites au sein de forces de police véritablement nationales, l’équilibre du pouvoir -notamment sur les problèmes de sécurité- entre le gouvernement central et les provinces.
On peut donc conclure que, si certains hommes politiques et militaires américains sont persuadés de la « bienveillance » de Nouri AL MALIKI, il faut plutôt comprendre son action comme la mobilisation de toutes les ressources de pouvoir disponible à son profit, visant au double contrôle de l’Irak et de l’identité chiite.