McChrystal sur CBS (actualisé)

Excellent reportage de terrain sur McChrystal hier après-midi.

Deux remarques:

-d’abord, voilà un général qui conçoit son poste comme un service (un ministère pour reprendre l’ancien terme). Il semble bien qu’il soit décidé à donner une évaluation réaliste, et pas seulement pour hâter un apprentissage organisationnel massif au sein de l’establishment de défense américain. En effet, son opinion est que l’Army et les Marines ne savent pas ce qu’est la « contre-insurrection populo-centrée », en dépit de l’expérience irakienne, de la publication du FM3-24 et autres pressions des « croisés de la COIN ».

-Ensuite, c’est une plongée intéressante dans le style de commandement multinational de notre époque: conférence journalière par vidéotransmission, visite impromptue sur tous les fronts, « guidances » continuelles jusqu’au plus bas niveau font du général en chef un « super-VRP » de la doctrine et de la stratégie.

A regarder et à méditer.

Mise à jour:

A signaler l’entretien apparemment détendu et plein de confiance que le général McCHRYSTAL a donné au Figaro (merci  à Marin, le cachotier, il se reconnaîtra, pour ma part je l’ai identifié 🙂 ).

-un point négatif: cette manie de penser qu’il suffit que les Américains/Occidentaux le fassent pour que cela marche (cf. les deux ou trois questions sur la réactualisation de la stratégie et des tactiques soviétiques). Cependant, je dois dire que je trouve les réponse rafraichissantes (si je peux me permettre): pour une fois, ce n’est pas l’aspect  technique de la contre-insurrection qui est souligné (auquel cas, l’analogie avec les Soviétiques devient une comparaison et mon agacement initial s’en trouve conforté) mais les différences politiques. Autrement dit, Stanley McChrystal croit à la signification différente de procédés similaires. C’est plutôt novateur et rare chez un militaire américain (en fait, ce serait davantage une posture « française ») mais attention à ne pas sombrer dans la trop grande naïveté (croire que, par essence, le projet politique américain/occidental serait bon car plus « libéral » et « progressiste » que le Communisme de l’oncle Brejnev).

-Excellente remarque sur l’éclatement et l’atomisation de la rébellion afghane et son absence de tout projet politique. C’est un point que je pense important pour comprendre les succès militaires contre AQI et les extrémistes en Irak et qui permet d’être « optimiste » sur les chances de succès contre certains mouvements rebelles en A-stan. En effet, lesdits mouvements tant au « pays des deux fleuves » qu’au « pays de l’insolence » ont oublié les règles d’or des insurrections de l’age classique: à savoir qu’il faut obtenir l’adhésion des populations en s’identifiant à elles. C’est plutôt facile pour les « nationalistes », mais cela l’est beaucoup moins pour les « prédateurs » et pour les « fanatiques », ces deux dernières catégories ayant tendance à user d’une terreur moins sélective et à ne pas agir suffisamment sur les leviers des griefs locaux. Pour le dire d’une manière conceptuelle occidentale « style COIN »: ils n’arrivent pas à gagner en profondeur les « esprits et les coeurs ». Et puis cela crée une atomisation du paysage politico-militaire qui ne peut que condamner ces mouvements. C’est ce qui a fonctionné en Irak pour « sécuriser » la plus grande partie du pays (même si la violence reste de haut niveau à Bagdad et à Mossoul et le redevient lentement mais surement en Anbar). Je crains que l’opération sur Helmand ne soit qu’une première longue phase de cette réactualisation.

-la stratégie « COIN pour les nuls » est l’application du « modèle irakien » (pas le réel, mais le conceptuel): présence au coeur des populations, partenariat avec les forces de sécurité nationales (sur le mode de l’amalgame entre Occidentaux et locaux), méthode de la « tâche d’huile » (on se concentre sur certaines zones, on les « pacifie » et on passe à la suivante). Problème à mes yeux: cette stratégie présente plusieurs défauts. En premier lieu, elle demande beaucoup de temps (plus que les 12 mois qu’a laissé la Maison Blanche à McChrystal pour montrer des progrès). Ensuite, elle repose sur une vision occidentale de la légitimité des forces armées (et du gouvernement en général). Gagner l’adhésion de la population est plus que compromis même dans un système mitigeant la présence occidentale (nécessaire car efficace à défaut d’être légitime) avec les soldats locaux (dont la légitimité -même douteuse- ne parvient pas  à pallier le manque d’efficacité). Enfin, elle reste une simple réponse technique à un problème politique: il ne suffit pas de lire Mao (même acculturé par Galula) pour comprendre les motivations, les ressorts, les dynamiques endogènes et exogènes et les interactions population/insurgés.

-dernier point: la nécessité de l’humilité, du cultural awareness et de l’interaction avec les locaux peut surprendre près de 2 ans après que le « sursaut » en Irak ait produit des effets publics. Elle démontre encore une fois que le processus d’adaptation et d’apprentissage conceptuel ne suffit pas à changer une stratégie et une culture sur le terrain… Et surtout que la contre-insurrection ne saurait se substituer à un projet politique en accord avec les voeux des populations.

-j’allais oublier: la référence aux penseurs, théoriciens et stratèges français m’a beaucoup amusé. On n’a cessé de m’en abreuver après mon intervention au Naval War College. Il est difficile de faire comprendre qu’il ne s’agit pas simplement de procédures techniques et de concepts stratégiques, mais que la pensée française s’est voulue politique: coloniale d’abord (Lyautey 1900), (contre-) »révolutionnaire » ensuite (Lacheroy, Trinquier, Galula si l’on veut), stabilisatrice aujourd’hui.

6 réflexions sur “McChrystal sur CBS (actualisé)

  1. A lire dans le meme genre et sans doute tout aussi interressant. Mais surtout plus proche de nous: le rapport du Colonel Chanson dans le POINT. (desoler j’ai pas le lien).
    Un retour d experience sur l engagement francais en Afgha et les french COIN method. A mediter.

  2. « ces deux dernières catégories ayant tendance à user d’une terreur moins sélective et à ne pas agir suffisamment sur les leviers des griefs locaux. Pour le dire d’une manière conceptuelle occidentale »

    Guistozzi dans « Koran, kalashnikov and Laptops » explique justement comment les taliban ont utiliser ces leviers et ont appris à moduler leur action en fonction du contexte local.

  3. Oui, c’est certainement plus complexe que ce que j’ai dit: les Talibans ont su s’inscrire dans une logique locale (ils sont moins « globaux » qu’avant). Cependant, je ne parlais pas d’eux (je les classerais plutôt dans la catégorie « nationaliste » ou « prédateur ») mais de AL QAEDA…. J’aurais dû être plus clair…

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