Iraq Issues/Les enjeux actuels en Irak

En cette fin d’année 2008, riche en rebondissements politiques et militaires dans l’histoire des guerres en Irak, il m’a semblé intéressant de balayer rapidement les enjeux en cours dans le pays, tant pour le gouvernement et les citoyens de l’Irak que pour les militaires et les hommes politiques américains. Il me semble que quatres domaines méritent notre attention: les capacités et le rôle de l’armée irakienne, les « dommages collatéraux » du SOFA, les élections provinciales prévues à la fin du mois prochain et enfin le problème posé par les « personnes capturées en opération ».  Un point commun: la transition progressive, voulue depuis 2003, réaffirmée en 2004/2005 et ralentie le temps du « sursaut », de construire un « nouvel Irak » à travers le transfert échelonné des responsabilités de la sécurité au gouvernement irakien et à ses forces armées et de sécurité.

1- Les forces irakiennes: une croissance exceptionnelle mais fragile et encore jeune?

Le tournant de l’année 2008 aura certainement été la multiplication des opérations militaires menées par l’armée et la police irakiennes avec le soutien logistique et en présence des conseillers militaires américains. De mars à juillet, les forces du gouvernement ont pris d’assaut BASSORAH, encerclé MOSSOUL, « pacifié » AMARAH, « nettoyer » la province de DIYALA.

Parallèlement, et alors que cette décision semblait susciter des craintes relayées dans les médias américains, l’intégration des milices sunnites des « Fils de l’Irak » de la région de BAGDAD (54 000 sur les 100 000 miliciens levés et payés par les Américains dans tout le pays) semble se dérouler sans accrocs majeurs. Ainsi, la prise en charge au 1er octobre des miliciens par le gouvernement a permis de dénouer certaines tensions, après les arrestations « musclées » des leaders miliciens dans la province de DIYALA durant l’été.

Pour les Américains, la formation et l’encadrement des unités irakiennes de police, de l’armée ou bien des gardes-frontière est un long chemin. Dernière innovation en date, les Transition TF reprennent le principe des OMLT de la taille d’un bataillon intégré au sein des forces de la « Nation-Hôte ».

A raison, le général PETRAEUS, en quittant ses fonctions le 1er septembre, a pu parler d’un « sursaut irakien » pour désigner l’augmentation des effectifs de l’armée et de la police, mais aussi le développement rapide du programme de recrutement des miliciens sunnites.

Cependant, le porte-parole du gouvernement irakien indiquait que la présence américaine serait sans doute nécessaire pour de nombreuses années. Cette observation est cohérente avec l’instrumentalisation des Américains par le PM MALIKI qui restreint ainsi les opérations auxquelles participeraient des Américains pour les focaliser sur la formation de forces de sécurité qui lui sont acquises.

Enfin, outre les problèmes liés aux capacités logistiques, il faut souligner que cette armée n’inspire pas encore assez confiance du fait d’unités souvent « ethniques », de carences de commandement, et d’une formation encore superficielle à la « contre-insurrection » sur le modèle américain (ce modèles « humanitaire » que voudrait voir émerger Michael McCLINTOCK). Ainsi, les britanniques ont annoncé qu’ils se retireraient de BASSORAH entre février et juin 2009, laissant la place… aux Américains.

2- Les oubliés de l’Accord sur le Statut des Forces: l’Irak rejoint le « concert des Nations »?

Signé le 23 novembre et adopté le 28, l’Accord sur le Statut des Forces témoigne peut-être d’un retournement géopolitique en raison des conditions particulièrement défavorables aux militaires américains si l’on compare le texte avec les accords passés entre les EU et d’autres Etats. Enhardi par ce succès, le PM MALIKI cherche désormais à garantir que les protections offertes par la Résolution 1483 de l’ONU (juillet 2003) puissent s’étendre dans l’année à venir. Il s’agit notamment des risques posés par le gel des avoirs irakiens en 2003. De fait, il existe des plaintes et des réclamations portées contre l’Etat irakien du fait de crimes ou de préjudices commis sous S. HUSSEIN. Or, le gouvernement ne souhaite pas régler ces affaires, à moins d’une somme forfaitaire globale d’indemnisation.

Dans cette affaire, l’administration BUSH pousse à étendre les garanties le plus longtemps possible. Il est intéressant de noter que, outre la défense d’un Etat « client », il s’agit là aussi d’une mesure visant à protéger les ressources du gouvernement irakien, fragilisé sur le plan de la reconstruction de l’Irak. En effet, l’essentiel des actions menées dans ce cadre l’ont été pour le moment dans le cadre des actions civilo-militaires (EPRT, micro-crédits ouverts grace au CERP, etc.). On peut également analyser cette décision dans le cadre du développement de la politique de réconciliation, tant sous l’égide de l’administration américaine que sous celle du gouvernement MALIKI.

3- Les élections provinciales de janvier 2009: entre tensions ethniques et déjà-vu

Les élections provinciales s’avèrent d’ores et déjà être l’enjeu politique majeur de l’année à venir. Or, les militaires américains se retrouvent dans une situation relativement connue en apparence: protéger les élections a déjà été de leur ressort à trois reprises dans l’année 2005.

Il semble bien pourtant que la situation soit légèrement différente. Et d’abord parce que les partis politiques irakiens actuellement représentés à l’Assemblée Nationale ont mis presque un an à voter la loi réglementant les élections provinciales. De fait, la définition du partage des pouvoirs et des responsabilités, notamment dans le cadre de la sécurité, reste problématique. En outre, les tensions ethniques demeurent vives et la confrontation des projets partisans se mêle souvent aux considérations communautaristes ou régionalistes. C’est le cas dans le Sud Chiite où le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak demande une plus grande autonomie de la région, à l’égard des Kurdes au Nord.

Ainsi, l’été aura été marquée par les disputes au sujet des villes kurdes de KIRKOUK et de KHANAQIN. Si le sort de la première doit se régler par un référendum séparé des élections provinciales, la seconde a donné lieu à des heurts entre la population de la ville et les militaires irakiens à la fin de l’été.

Les rivalités interethniques ont aussi donné lieu à des attentats ciblés visant à intimider des segments de la population, tels que les Chrétiens de MOSSOUL. L’attentat meurtrier intervenu hier près de KIRKOUK lors d’une rencontre entre responsables arabes et kurdes est une nouvelle preuve que la montée aux extrêmes menace en Irak.

Enfin, la résilience d’AQI pose problème notamment dans la province de DIYALA, le président de l’assemblée provinciale ayant demandé un report des élections d’au moins 6 mois  alors que la province va passer sous la responsabilité des forces de sécurité irakiennes.

Au total, ces élections sont un enjeu majeur, non seulement car elles permettront peut-être de renouveler le personnel politique, mais aussi car elles devraient aboutir à une définition plus concrète des pouvoirs entre le gouvernement central et les gouvernements provinciaux.

4-La lente résolution du problème des détenus et les traumatismes de la « contre-insurrection » sur les civils

En revanche, l’enjeu majeur en rapport avec la « contre-insurrection » est celui des détenus. En effet, depuis 2007, la TF 134, commandée par le MG STONE entre l’été 2007 et l’été 2008, aura permis de modifier les attitudes initiales, notamment en ce qui concerne les abus sur les prisonniers.

En effet, les opérations militaires menées par les Américains en Irak ont causé de grands torts tant à l’effort du Pentagone qu’à la population irakienne. Un rapport de la Commission des Forces Armées du Sénat commandité par le Sénateur démocrate LEVIN et surtout John McCAIN insiste sur le fait que les abus d’ABU GHRAIB ne sont en rien l’oeuvre de personnels marginaux. En effet, les discours politiques et les recommandations officieuses du Pentagone concernant les détenus enfermés à GUANTANAMO ont débouché sur le mépris systématique des Arabes (la grille de lecture étant The Arab Mind de PATAÏ) et les sévices que l’on connaît. D’autant que l’immense majorité des Irakiens emprisonnés l’ont été sans preuve, et souvent lors d’opérations de ratissage indiscriminées.

L’inexistence ou la faiblesse du système judiciaire irakien n’a pas aidé à gérer le problème. En effet, les « personnes capturées en opérations » ne sont pas des prisonniers de guerre et devraient relever de la justice civile. Il est toutefois risqué de les relâcher trop tôt, mais il est tout aussi risqué de garder indéfiniment des gens innocents. On sait bien la radicalisation que produisent ce type de pratiques. Sans compter que les risques de « corvées de bois » existent bien aussi.

Aussi, le travail du MG STONE a-t-il commencé à porter ses fruits: taux de relaxe supérieur à celui des arrestations, tri très en amont (même si c’est en fonction de la « dangerosité » plutôt que selon des critères d’innocence/culpabilité), apprentissage professionnel pour la réinsertion, et enfin « enseignement religieux » destiné à « modérer » les « radicaux ».

Le problème tient au fait que de nombreux innocents restent encore derrière les barreaux de Camp BUCCA (près de UM QASR, un grand port irakien) et de Camp CROPPER (au sein du Camp VICTORY, le QG de la MNF-I sur l’aéroport de BAGDAD). Alors que 26000 irakiens étaient détenus en 2007, ils ne sont plus que 16 000.

De fait, ce dossier sera, comme les autres, transféré au gouvernement irakien. A compter du 1er février 2009, une commission conjointe composée d’Américains et d’Irakiens devrait statuer sur 1500 dossiers par mois en vue d’accéler les libérations ou bien le transfert à la justice irakienne…. Dès que le nombre total des détenus sous responsabilité américaine descendra en dessous de 8000, Camp BUCCA devrait être définitivement fermé.

Cet enjeu est important aussi bien pour la « nouvelle » contre-insurrection que pour la population irakienne. Les traumatismes laissés par l’irruption soudaine des Américains et la « montée aux extrêmes » entre ces derniers et les jihadistes ou les nationalistes représentent une véritable « révolution sociale », avec ses mécontents et ses laissés-pour-compte, mais aussi  ses « hommes nouveaux » qui domineront l’Irak de demain.

Au total, ces enjeux ne devraient pas être résolus immédiatement. Ils sont au coeur de dynamiques contradictoires et paradoxales: une « contre-insurrection » se voulant plus « humanitaire » et continuant pourtant à porter un fer rougi à blanc dans les plaies de  la société irakienne; une société marquée par une fragmentation importante mais capable peut-être de trouver des idéaux communs, un établissement de la Défense américain sommé de se « transformer » dans un sens qui n’était pas celui prévu au départ….

7 réflexions sur “Iraq Issues/Les enjeux actuels en Irak

  1. Avez vous des infos sur cette affaire ? :

    Irak : ils voulaient faire un coup d’État
    AFP
    18/12/2008 | Mise à jour : 09:40

    Cinquante fonctionnaires du ministère irakien de l’Intérieur ont été arrêtés ces trois derniers jours à Bagdad pour « tentative de coup d’Etat contre le gouvernement », a indiqué jeudi une source de sécurité irakienne de haut niveau.

  2. Cela ne sent pas bon……
    Merci de cette info Frédéric
    Cordialement

    Une chose m’étonne: il s’agit de fonctionnaires du ministère de l’Intérieur accusés d’être des crypto-baasistes et de préparer le retour du Baas. Or, ce ministère est actuellement « trusté » par les Chiites du Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak.
    Donc, il faudrait se renseigner mais:
    PRIMO: une « purge » du ministère de ses éléments sunnites?
    SECUNDO: un « coup » contre le Conseil dont les tensions avec MALIKI ne cessent de croître?
    TERTIO: une vraie tentative de « coup d’Etat »?
    QUARTO: un accroissement de la mainmise du PM sur les forces armées et de sécurité?
    Bref, prudence!

    AJOUT:
    renseignements pris, je conseille l’article du NYT de ce jour. Il précise que l’unité ayant arrêté les suspects est l’unité antiterroriste qui a sévi cet été à DIYALA, autrement dit une milice directement aux ordres du PM. D’autre part, certains des suspects sont des Chiites. Enfin, le ministre de l’intérieur est le dirigeant du Parti Constitutionnel (séculier).

  3. Un  »coup de semonce » discret envers l’Iran en accusant ses hommes d’êtres pro bassistes (comme cela, pas d’humiliation publique) et un coups de vis pour montrer qui commande de la part de PM ?

    Bon, dans  »l’orien compliqué », rien n’est simple et peut être que plusieurs de vos hypothèses soient une facette de cette affaires.

  4. A mon avis, cela pourrait être plusieurs de ces hypothèses en effet…
    Peut-être même pourrions-nous en ajouter une: il y a tellement de bruit autour des intentions politiques supposées de MALIKI dans cette affaire, qu’il pourrait même s’agir d’une tentative de le déstabiliser!
    Je trouve étonnant que les ministres concernés ne soient pas capables de dire combien de personnes ont été arrêtées

  5. Un coup dans l’eau pour tester ses rivaux? Signe de l’émergence de pratiques démocratiques? Signe de la vitalité des partis politiques et de leur capacité à mobiliser l’opinion publique? Tentative de discréditer MALIKI?
    Toutes ces hypothèses méritent d’être retenues en l’état actuel des choses

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